vis ma vie
En douceur et silence, Ileen s’étire. Un à un, ses os craquent, parlent. Ses muscles s’expriment, et toute sa mécanique corporelle se remet en place, s’éveille et se tire de la léthargie propre aux bras de Morphée. Où est-elle ? Sous une tente. Dans quel pays ? Le Mexique. Le soleil est à peine levé que la température et l’humidité de l’air de la jungle vous étrangle. Les moustiques sont gros comme le poings, les araignées tiennent d’avantage des accromentules et, non, les serpents ne sont pas en reste. Mais rien de tout cela n’inquiète la sorcière, qui se passe une main dans les cheveux, avant qu’elle ne tombe sur sa nuque puis ne vienne frotter son visage. Quand les dernières esquisses du sommeil quittent ses yeux, sa bouche charnue s’étire d’un sourire. Sans faire de bruit, elle prend la première chose qui lui tombe sous la main (à savoir une paire de chaussettes -propre), et s’allonge sur le ventre, avance tout doucement sa tête au bord de son lit, tout doucement, tout doucement… Lève le bras, brandit son arme de fortune… Et paf, se prend une pichenette sur le museau qui la fait se redresser d’un bon. «
Aïeuh ! » La paire de chaussettes est lâchée, la beauté d’ébène se tient le nez, endoloris par la pichenette, tandis que de sous son lit superposé émerge l’occupant du lit inférieur, Adam, 25 ans et toutes ses dents et tout sourire, ricanant narquoisement. « Tu croyais vraiment que tu m’aurais deux jours de suite ? » A son tour, il s’étire, joue de ses muscles, tandis qu’Ileen achève d’apaiser la douleur qui avait saisi son appendice nasal et lui tire la langue. «
Je pouvais toujours tenter. » Il ne répond rien et disparaît, souriant toujours, dans la salle de bain de leur tente. Peu de temps après, la jeune femme peut entendre l’eau couler abondamment et la voix de son compagnon emplir l’espace d’un « O sole mioooo » faux et tonitruant. Elle n’y fait plus attention. Adam et elle, ils en sont à leur vingt-deuxième mission ensemble déjà. L’équipe est rôdée depuis quelques temps, efficace et complémentaire. Les Gobelins, généralement, demandent moins que ça. En fait, ils ne demandent rien à l’exception des trésors qu’ils les paient pour récupérer. Opérer seul, en équipe ou en groupe est un choix qu’ils laissent à leurs chasseurs. Par commodité, Adam et Ileen ont pris l’habitude de partager leurs missions. Question de sécurité, d’une part… Et d’ennui, aussi. Parce que quand vous êtes de l’autre côté du globe sans possibilité d’avoir recours à aucun moyen de communication, partager le bateau de quelqu’un fait toute la différence.
Avec souplesse, la sorcière quitte son lit et va s’attabler dans la petite cuisine pour son rituel matinal. D’une petite pochette qu’elle accroche à la ceinture de son jean, elle sort, une par une, des dizaines de fioles qu’elle aligne consciencieusement devant elle, ainsi que quelques autres artifices tels que deux branchiflores, un bézoar, ou encore quelques sachets aux effets divers. Près d’elle aussi, deux baguettes. La sienne et celle d’Adam. La sienne, elle a été taillée dans du bois de violette, mesure vingt-six centimètres et renferme une larme cristallisée de Banshee. La baguette l’avait choisie chez Ollivanders, à la grande surprise du commerçant qui pensait ne jamais la voir achetée. Ileen s’était sentie particulièrement fière d’obtenir cette baguette, sentiment de fierté qui ne l’avait toujours pas quittée depuis. Quant à la baguette d’Adam, ce qu’elle contient reste un mystère pour elle. Le garçon aime se faire désirer et entretenir le secret. Quoiqu’il en soit, avec d’infinies précautions et une attention toute particulière, la jeune métisse passe au crible les deux armes qu’elle polit et entretient soigneusement ; avant de passer à l’examen des fioles et artifices devant elle. La qualité de leur équipement est une question de survie, raison pour laquelle elle met tant de soins, tous les matins, à son inspection. Quand elle termine, son compagnon sort de la douche et elle prend sa place. Un quart d’heure plus tard, il ne reste rien de leur campement si ce n’est quelques cendres pour marquer l’emplacement du feu qui leur a tenu chaud une petite partie de la nuit. Ileen en short et débardeur, Adam en pantalon et marcel militaires, tous deux des rangers aux pieds et un petit sac à dos sur les épaules, ils reprennent leur marche à travers la jungle, sous une chaleur moite.
Aux alentours de midi, c’est devant une porte qu’ils prennent une collation plutôt frugale. Quelques gâteaux secs et beaucoup d’eau. Ileen est assise sur une pierre et s’abime dans la contemplation d’une stèle gravée de runes, pendant qu’Adam, un peu moins contemplatif, se gratte la tempe. « Bon, ça fait bien une heure qu’on est là. T’as une idée ? » Interrogatif, il ancre ses grands yeux clairs sur sa partenaire… Qui ne répond pas. Le fait est qu’elle a à peine entendu la question. Il le comprend assez vite et plutôt que de s’obstiner, il lève les yeux au ciel et se lève aussi, et va la pousser pour la tirer carrément de ses pensées. Surprise, la sorcière manque de se casser la trogne de sa pierre et riposte avec humeur en repoussant l’assaillant. «
Me saoule pas Adam, je réfléchis. » Du tac au tac « Et ça fait pas trop mal ? » A nouveau, du tac au tac. «
Je sais pas, ça te fait mal, toi quand tu choisis ton slip ? » Il ne réplique pas, interrompant ici la joute verbale, lui concédant ainsi le point avec un sourire. S’en suit un nouveau petit silence que la métisse rompt en sortant deux livres de son sac. A Poudlard, les runes n’avaient jamais été sa spécialité, pas plus que la botanique ou les potions. Dénuée de subtilité mais débordante d’énergie, de force brute, elle n’excellait qu’à l’usage de sa baguette… Adam, malheureusement, était dans le même cas, à l’exception près qu’il était très doué -de façon totalement paradoxale- en potions, lui. Dans ses livres, elle plonge son nez. Les informations que lui ont donné les gobelins sont sommaires. Le temple, qu’ils sont parvenus à trouver après des jours de recherches intensives au cœur de la jungle dans un périmètre de la taille du Titanic
daterait approximativement, de l’époque Maya. Sauf que la civilisation Maya s’étendait sur près d’un millénaire et que les runes utilisées avaient évolué au cours de cette période… Sans date précise, l’entreprise dans laquelle Ileen s’est lancée est un challenge autrement plus complexe…
Il lui faut deux bonnes heures, et petit coup de main d’Adam, pour venir à bout des inscriptions qui ornent la porte du temple. Une fois que c’est fait, un peu comme la communauté de l’anneau devant la Moria, ils n’ont qu’à tirer sur la chevillette (ici appuyer sur trois boutons cachés dans le bon ordre) pour que la bobinette cherre. Doucement, tandis que le sol tremble et que s’élève un dense nuage de poussière, la porte s’ouvre sur des ténèbres insondables. Un courant d’air froid les saisit, rafraîchissant dans la moiteur de la jungle. Adam dégaine sa baguette et s’apprête à l’illuminer d’un « Lumos » mais Ileen le retient. «
Non. On n’en aura pas besoin, tu verras. » L’air mystérieux, elle sourit, et bien que l’abaissant, il est hors de question qu’il se départisse de son arme. Galant, et narquois, il se penche légèrement en avant. « Honneur aux dames. » A quoi la métisse répond d’un soupir en levant les yeux au ciel, puis passe lentement le seuil du temple, suivie de près par son acolyte. A peine ont-ils fait une demi-douzaine de mètres que la porte se referme sur eux, les engloutissant et les plongeant dans une totale obscurité. Le sorcier comme la sorcière se figent. « Ah bah bravo. Et maintenant ? » A nouveau, Ileen lève les yeux au ciel. «
On attend. » L’agacement d’Adam est palpable à cette réponse, mais l’expérience lui a appris à avoir confiance en sa partenaire aussi se contente-t-il de ronchonner et de balancer quelques vannes, fidèle à lui-même, jusqu’à ce que, quelques minutes plus tard… La voute du temple s’illumine d’une douce phosphorescence naturelle, laissant ainsi entrevoir dans la pénombre le sourire satisfait de l’ancienne Gryffondor. Mais le garçon n’est pas impressionné pour autant. Dédaigneux, il réajuste son sac sur ses épaules et renifle bruyamment. « C’était marqué à l’entrée, c’est ça ? » Tandis qu’ils se mettent en route. «
Ouais, si on veut. Y’avait marqué que c’était un temple dédié à Itzamna, Dieu du ciel, de la nuit et du jour, et un truc comme quoi on devait avoir une foi aveugle, qu’il était Dieu du jour et de la nuit parce que l’un n’existait pas sans l’autre, blablabla… En fait, on n’a même pas besoin de tracer un plan du labyrinthe, la phosphorescence nous mène d’office au milieu. On ne devrait pas avoir trop de surprises sur la route, c’était vraiment un truc de purs fidèles. » Cette précision donnée, ils reprennent leur marche dans une ambiance bon enfant, bien que restant sur leurs gardes.
Atteindre le centre du labyrinthe leur demande une bonne heure au cours de laquelle ils sont tombés dans une fosse, ont manqué de finir engloutis sous des tonnes de sables, d’être embrochés par des flèches empoisonnées et écrasés par des murs, mais c’est indemnes qu’ils touchent au but. Devant eux s’étend une salle vide. Décevante car remplie de rien. Pas d’ornement, peu spacieuse. Rien n’indique qu’ils touchent au but. Pourtant, tous les chemins indiqués par la phosphorescence se rejoignent ici, et ils sont nombreux à déboucher de part et d’autre de la pièce. Réactif, les deux chasseurs illuminent leurs baguettes, et ne tardent pas à trouver une rigole d’huile qui, une fois enflammée, prodigue un éclairage tout à fait satisfaisant pour l’entièreté de la pièce. Ils peuvent alors admirer tout à loisir les peintures noires ornant les murs, comme une frise, représentant des hommes dans différentes positions. Pendant qu’Ileen s’en approche pour les étudier de plus près, Adam cherche à épuiser son trop plein d’énergie et d’ennui « Hey, mate un peu ça Ileen ! » en imitant la première des positions qui se présente de son côté. Sous lui, son pied s’enfonce de quelques millimètres et un CLAC sonore retentit, qui fait se figer de concert les deux sorciers. Les muscles tendus, aux aguets, ils attendent… Une réaction qui ne vient pas. Pas de piège, sous la dalle actionnée par Adam, ce qui les fait soupirer de soulagement, mais ne les détend pas pour autant. Dans ce genre d’édifice, aucun mécanisme n’était installé en vain. Découvrir le comment du pourquoi de celui révélé par le sorcier n’était pas une option.
A deux, après quelques tentatives infructueuses, il est aisé de comprendre le mécanisme. Imiter les positions peintes sur la frise, c’est ça, la solution. Tandis qu’ils s’y attèlent de concert, les CLAC se succédant les uns aux autres, Ileen balance… «
Ce qui se passe au Mexique… » « … Reste au Mexique, oui. » termine ensuite Adam, chacun d’eux ayant son lot de mouvements ridicules à enchaîner pour déverrouiller la totalité du mécanisme. Et, finalement, après avoir ainsi décris deux tours de la salle, quand ils achèvent leur danse poings contre poings, une trappe s’ouvre et émerge du sol un piédestal d’or massif. Adam et Ileen échangent un regard de connivence. «
Tu testes ? » Il secoue négativement la tête. « Nan. Essaie-toi. » Le nez de la métisse se fronce. «
On la joue au Pierre-feuille-papier-ciseau. » Solution radicale pour résoudre tous les dilemmes. Aussitôt dit, aussitôt fait. Au meilleur des trois manches, Adam l’emporte et c’est Ileen qui se voit forcée de tenter le transplanage… Dans un CRAC sonore, elle disparaît, puis reparaît à quelques mètres derrière son compagnon, indemne, un sourire fleurit sur ses lèvres charnues. «
Ça a l’air d’être bon. » A son tour, l’homme sourit et c’est ensemble qu’ils se penchent sur le piédestal. «
Ils ne veulent que le contenu du coffre, donc on peut garder le coffre. » La réflexion fait son chemin dans la tête du garçon… Qui hoche la tête. « Ouaip. Y’a quoi dedans, à ton avis ? » Elle hausse les épaules. «
Je sais pas. Un truc de valeur, c’est sûr. Mais compte-tenu de la taille du coffre, ça doit pas être bien gros. Un bijou probablement. » A nouveau, Adam hoche la tête en signe d’assentiment… Et ils se mettent au travail.
***
C’est couverts de terre, de boue, de suie, d’écorchures et les vêtements en lambeaux qu’ils traversent le hall de la banque de Gringotts, mais aussi le sourire le plus conquérant qui soit aux lèvres. Cupides, les gobelins ne les font pas attendre et les mènent immédiatement dans le bureau du préposé à l’accueil des trésors. Sur son bureau, Adam balance un masque cérémoniel en bois peint, sans une once de respect, assortit d’un « Tiens,voilà ta daube Pincedur. » dédaigneux. Le banquier, bien qu’outré, ne relève pas. Le garçon est depuis longtemps leur meilleur élément, il ne peut se permettre de lui donner une raison de se lancer en indépendant, aussi le gobelin garde-t-il sa hargne pour lui et se contente de s’emparer du masque avec une respectueuse déférence. Un coup d’œil lui suffit pour attester de l’authenticité, et c’est quelques minutes après seulement que les deux compères quittent la banque sorcière, toujours aussi dégueulasses mais les poches très largement alourdies de galions sonnants et trébuchants.
«
On va boire un verre pour fêter ça ? » Adam approuve. Aussi discrètement qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine, ils trouvent une table au Chaudron Baveur et s’en emparent. Tom, le barman, ne tarde pas à leur apporter leurs commandes habituelles. Un whisky pur-feu pour monsieur et une vodkaramel pour madame. « Alors… Contente de rentrer chez toi ? » Les yeux verts de la beauté métissée s’érigent, d’un coup colériques, vers le sourire insolent de son partenaire. «
Va te faire foutre. » C’est la seule réponse qu’il reçoit, Ileen vidant d’un trait son verre, rapidement resservi. Avec le temps, il espère qu’elle sera moins amère à l’idée de retrouver son chez elle, mais il est bien forcé d’admettre que la conjoncture n’est pas en sa faveur… Elle lui avait déjà raconté, quelques fois, où le moral n’est pas à son zénith, quand s’ébauche un rien de vulnérabilité, le calvaire que ça avait été de grandir en tant que Thomas, fille de célèbre résistant et fidèle d’Harry Potter… Les descentes à répétition dans sa maison, les brimades des obscurs et partisans du Lord à l’école, l’épluchage de son courrier, le viol de sa vie privée… Mais aussi les pressions, physiques et morales de la part des résistants, le lavage de cerveau dont elle avait été la victime… Les missions, Adam n’avait pas tardé à le comprendre, étaient son moyen d’évasion de ce souvent trop sombre quotidien, à cause duquel elle avait fini par haïr autant un bord que l’autre. Discrètement, le garçon soupire et sirote une gorgée de son propre verre. « Sinon, y’a un concert de Cinema Blizzard dans deux semaines. Ça te dit qu’on y aille ensemble ? » Instantanément, le sourire revient étirer les lèvres pulpeuses de femme à la peau couleur Mocha, exhibant les petites perles blanches qui lui servent de dents. Oui, elle aurait bien d’autres occasions de se prendre la tête avec toutes les tares que lui avait collé son passé, mais non, elle ne ferait pas ça ce soir, pas maintenant…