“I'm coming out of my cage and I've been doing just fine”

Jazzlyn & Nerio

Il jeta son mégot au sol et l’écrasa du bout de sa semelle, ferma brusquement son livre, coupant court à la discussion, ou plutôt au monologue de sa voisine, qui s’empourpra devant le regard ennuyé que lui lançait le garçon. Elle bafouilla une phrase qu’il ne comprit pas, chercha à se sortir de cette situation embarrassante, s’y enfonça encore plus, tirant au garçon un sourire légèrement mauvais et un haussement de sourcil. La brune s’emmêla les pinceaux et finit par se taire, une coloration rouge prononcée sur ses pommettes saillantes. « T’es mignonne mais parfois tu parles trop, tu sais. » Il l’entendit déglutir, puis elle se releva, plissa sa jupe et essaya de partir avec le peu de dignité qu’il lui restait à cet instant. « Peut-être, mais moi je ne suis pas détestable comme toi, Nerio. Toi, t’es renfermé, bourru, chiant, sans envergure et… » Le reste de sa phrase s’éteignit dans son couinement de peur, causé par le regard orageux du garçon, et la pression qu’il exerçait sur son bras frêle. Elle n’était pas sans ignorer la réputation de mauvais garçon que trainait Nerio derrière lui, mais jamais encore elle n’avait eu à faire face à ce regard si mauvais, à cette poigne si dure, à cette silhouette si menaçante. Elle ravala les larmes qui perlaient à creux de ses yeux clairs, et tenta de garder une attitude digne. Elle tenta, mais il ne fut pas bluffé. Ils ne jouaient plus dans la même cour, sur ce genre de comportement, il la devançait depuis longtemps déjà. « Sans envergure tu dis ? Je te trouve bien suffisante pour porter ce genre de jugement, ma chère. Et en quoi suis-je sans envergure ? » « Tu n’es qu’un gamin, De Massari, un gamin qui tente de se faire passer pour un adulte. Mais personne n’est dupe ici. Personne ne peut te supporter longtemps, t‘es toujours dans ton monde, et les autres, tu t‘en fou. Égoïste. Comme les gosses. » « Dans ce cas, je ne te retiens pas. » Joignant le geste à la parole, il lâcha son avant bras, s’attendant à ce qu’elle s’en aille. Elle ne bougea pas d’un centimètre cependant, ses orbes bleues pâles plantées dans celles du garçon, y cherchant une quelconque faille, une brèche qu’elle aurait créée. «  Dégage ! » Le hurlement acheva de lui faire prendre peur, et elle l’abandonna là, dans le parc, au beau milieu de l’après midi.

Il oublia le nombre de cigarette qu’il fuma ce jour là. Une vingtaine. Peut-être même plus. La seule chose qui restait dans sa mémoire, c’était la façon dont cette fille l’avait blessé. Oh, peut-être n’avait il pas été le plus charmant des garçons en lui disant qu’elle parlait trop, mais au fond, il n’y avait eu aucune volonté de blesser dans ses paroles. Pas comme elle, pas comme cette garce là. Il voulait juste qu’elle le sache. Il se souvint seulement qu’il avait une voix épouvantablement rauque et le teint crayeux quand il était rentré au dortoir. Les garçons l’avaient regardé de travers, peut-être aussi à cause de ses yeux rouges, mais n’avaient fait aucun commentaire, se contentant de lui adresser un sourire légèrement désolé, et si il avait été un peu plus ouvert sur les autres, Nerio les aurait surement remercié. Les saluant d’un vague mouvement de la tête, il attrapa dans son armoire un chandail gris, un pantalon en toile noir et fila sous la douche. Le jeune homme resta un moment enfermé dans la salle d’eau, essayant de remettre un peu d’ordre dans ses pensées. Après tout, ce n’était pas son genre de faire attention au jugement des autres, vraiment pas. Mais il ne pouvait nier, ça faisait mal tout de même. Pour une fois qu’il tentait de faire des efforts, un minimum, d’intégration et d’ouverture sur le monde et les gens l’entourant, on le remballait de façon magistrale. Eh bien soit, puisque c’était ainsi, il redeviendrait le parfait salaud introverti, bourru et méchant qu’il savait être. C’était plus simple comme ça, après tout. Pas la peine de faire attention à ses mots, à ses actes, à ses idées, à bien parler, faire attention à faire passer correctement les messages, à véhiculer de bonnes idées.

Oui, c’était plus simple comme ça.

Le jeune homme ne se décida à se rendre au repas qu’au moment où son ventre se mit à gronder sa faim, se manifestant ainsi dans toute la pièce. Dommage, si il avait eu de la chance, il aurait pu échapper à ce moment désagréable du soir, mais c’était chose impossible maintenant, il ne pouvait plus prétexter ne pas avoir faim. Il maudit son corps d’être tellement gourmand, et enfila doucement, voire même avec une lenteur exagérée, son uniforme, remettant sa cravate une bonne dizaine de fois, faisant semblant de chercher ses chaussures, de ne pas trouver son mouchoir, d’avoir oublié telle ou telle chose. Il espérait juste gagner du temps, et que la Grande Salle soit un peu plus vide qu’à l’accoutumée. Malheureusement pour lui, et comme depuis le début de l’année, elle était encore très animée lorsqu’il arriva, et théâtre de disputes, de crises de jalousie, de fous rires ou de mauvaises blagues en tout genre. Il s’installa à la table de Poufsouffles, avec sa mine des mauvais jours, soit le visage fermé, les lèvres pincées, et les yeux en mode « approche moi et je te bouffe », et ainsi, il fut tranquille quelques minutes. C’était déjà mieux que rien.

A peine s’était-il saisit d’une part de gâteau, dont il n’avait pas encore identifié les ingrédients, mais qu’il avait déjà observé sous toutes les coutures, et reniflé, sait on jamais, on pouvait tenter de l’empoissonner dans cette école de fous, que Jazzlyn s’était interposée, d’une certaine façon, entre lui, son estomac, sa bouche et sa nourriture et l’avait empêché de gouter à son bout de cake. Soupirant, mais n’ayant absolument pas envie de se prendre la tête avec ça, il reposa sa pitance dans l’assiette et se décala sur le banc pour lui faire de la place. Jazz avait sa place ici, quoiqu’en disent les autres et c’était surement une des rares personnes qu’il pourrait supporter durant la soirée.

Il tapota la place libre et lui fit un petit sourire. Tendant le bras, il attrapa deux pommes, dont une qu’il donna à sa voisine de table, sans un mot. Oui, en plus d’être légèrement suspicieux sur les plats confectionnés en cuisine, l’italien avait aussi une tendance à commencer ses repas par le dessert, aussi étrange cela pouvait-il être. Manie mal vue, et dont il cherchait plus ou moins à se débarrasser, histoire de faire bonne figure, mais énervé, cette drôle d’habitude revenait au galop. La mâchonnant sans entrain, il coula un regard à la verte assise à côté de lui, et lâcha un soupir, avant de poser sa pomme dans son assiette, plus ou moins brusquement, faisait sursauter ses voisins de tablée, qui essayèrent de le calmer du regard, avant de se ratatiner sur eux-mêmes devant le regard peu amène du garçon. « Bon, vas-y Jazz, qu’est-ce qui te perturbe ? » Et avant même qu’elle n’ait pu le contredire, il ajouta « Et ne me dit pas que tout va bien, je te connais comme si je t’avais fait, t’as ta tête des jours où il y a quelque chose qui te chagrine, alors dis moi tout. Raconte à papa Nerio. » Il marqua une pause, et toussota légèrement. « Et pas de remarque sur ma voix, elle est horrible, je sais. Merci d’avance. » Il venait de battre son record de phrases débitées dans la minute, et il pensa, ironiquement, que ce jour était à marquer d’une pierre blanche. Quoiqu’une croix dans un calendrier suffirait aussi.

Il attendit un moment en silence, la fixant simplement. Mais rien ne venait. Soit. Il attendrait encore. Un peu. Dans la limite de ses moyens. Quelques secondes. Limites atteintes. Se saisissant d’une cuillère plantée dans un saladier de purée, il la pointa sur la Serpentarde, fronçant les sourcils. « Jazzlyn, je ne suis pas le garçon le plus patient qui existe, alors vas-y, dis moi tout ! ». Il se servit une cuillère de purée, et saisit une cuisse de poulet, qu’il fit tourner lentement, le regard fixé sur sa seconde petite sœur. Il attendait.