Je ne me sens pas vraiment concerné par les préoccupations autour du Lord. Bien sûr je partage les mêmes idées que la résistance, mais je ne vois pas l'intérêt de m'engager. Pour l'instant, je préfère avoir une vue d'ensemble, glaner des informations à droite à gauche. On connait bien évidemment mon penchant pour les résistants, mais la plupart des gens pensent que je me fiche complètement de ce combat, ce qui n'est pas tout à complètement faux. Lorsque l'on a vécu dans la misère toute sa vie, on ne cherche pas à s'attirer des problèmes, on se contente juste de résoudre ceux qui nous tombent dessus. J'ai déjà accordé mon aide aux résistants, sans jamais en être un. Peut-être que lorsque j'aurai remis de l'ordre dans ma vie, je m'engagerai à leurs côtés. Pour l'instant, mon point de vue omniscient me convient très bien.

Les premiers flocons de neige venaient tout juste de se déposer sur l'herbe fraîche de la vallée. En quelques jours, le château et ses alentours étaient recouverts d'un voile blanc aussi triste qu’envoûtant. Les élèves avaient revêtu leurs habits d'hiver, écharpes, gants, bonnets, et bientôt, ils n'étaient plus que des tâches sombres sur une toile vierge. Les sorties à Pré-au-Lard ne tarderaient pas être organisées, mais malgré cela, personne n'avait le cœur à arpenter les boutiques, autrefois si joyeuses et chaleureuses, du village. La plupart préféraient rester dans l'animation perpétuelle de la Grande Salle, d'autres trouvaient refuge dans la chaleur du feu qui s'échappait des cheminées des salles communes. Se cacher dans la salle sur demande pour embrasser la personne que l'on aime durant de longues heures, ou bien poursuivre son gros chat à travers les dortoirs, ou encore disputer une partie d'échec avec son meilleur ami, tel était le quotidien à Poudlard. Les plus sportifs s'étaient levés de bonne heure pour enfourcher leurs balais volants et s'entraîner toute la matinée à manier le souaffle. Tous semblaient avoir trouvé de quoi s'occuper, entre amis. Tous sauf un.

Les chutes de neiges s'étaient fortement intensifiées ce jour-là, personne n'osait sortir et affronter le vent glacial qui venait du Nord.  Malgré la désertion totale des cours extérieures et du parc, un petit garçon dévalait péniblement la pente qui menait à la cabane du garde-chasse. Sans prendre le temps de s'arrêter quelques instants, le jeune élève se baissa lorsqu'il arriva au niveau de la fameuse cabane, comme s'il ne désirait pas être vu. Il emprunta sur quelques mètres le chemin qui menait au portail, puis il sortit de la route pour s'aventurer dans la grande forêt, interdite. Considérée comme une cachette pour les esprits et les monstres les plus sombres de la région, cette vaste étendue de sapins est également un abri pour les plus improbables des créatures, dont la réputation repousse la majorité de la population.

Il atteignit bientôt une petite clairière, qui d'ordinaire ne présentait rien de spécial, dont l'apparence semblait avoir changée avec le climat. Elle offrait un spectacle époustouflant et apaisant à toutes les personnes qui la trouvaient. Il s'avança au milieu de celle-ci, puis se laissa tomber dans l'épaisse couche blanche qui recouvrait le sol. Au début, pas un bruit, puis quelques minutes après, le silence fut rompu par ce qui semblait être à première écoute, le hennissement d'un cheval. Le garçon sourit, puis ferma les yeux et tendit son bras dans le vide. Lorsqu'il rouvrit les yeux, une créature maigre et sombre se frottait le museau contre les extrémités de ses doigts. Ses longues ailes étaient pliées sur les côtés de son abdomen, deux souffles s'échappaient des deux gros trous qui devaient lui servir de narines, ses yeux étaient deux globes reflétant la pâle couleur de la neige. Au bout d'une trentaine de minutes, plusieurs sombrals avaient pénétré dans la clairière et s'étaient regroupés autour de l'enfant. Certains étaient blottis contre lui, d'autres se laissaient caresser.

C'est alors qu'un bruit étouffé alerta les créatures qui redressèrent directement la tête vers sa direction. A première vue, c'était surement une branche qui était tombée dans un buisson. Mais en y regardant mieux, on pouvait distinguer les deux petits yeux intimidées de la jeune fille à travers les feuillages. Le petit garçon se redressa alors brusquement. << Qui est là ? >> La petite sortie alors des buissons mais s'arrêta à l'entrée de la clairière. << N'aies pas peur, approches >> D'un pas hésitant, elle s'avança prudemment jusqu'au jeune garçon puis sortie un morceau de viande crue de sa sacoche. Il la regarda d'un air étonné. << Est-ce que tu les vois, toi aussi ? >> Elle acquiesça d'un signe de tête puis lui sourie, elle jeta ensuite le morceau en l'air. En un éclair, le sombral le plus imposant se rua sur la nourriture, mais au lieu de l'engloutir, il le coupa en petits bouts qu'il glissait dans la bouche de son bébé. << Je croyais que j'étais le seul >> Il sourit à son tour et fouilla dans une des poches de son gros manteau, il en sortit une pomme bien rouge qu'il coupa en quartiers à l'aide d'un petit couteau. Il les envoya alors en direction des chevaux sombres. << Pourquoi nous et pas les autres ? >> La jeune élève haussa alors les épaules pour exprimer son ignorance. << Tu ne parles pas beaucoup, je me trompe ? >> Elle sourie à nouveau et se laissa tomber dans la neige, il fit de même. Même si elle n'était pas très bavarde, il ne compta pas lâcher l'affaire, il ne s'était pas vraiment fait d'ami depuis son arrivée au château. << Tu te plais ici ? >> Un nouveau hochement de tête qui devait surement signifier "Oui".

Ils passèrent de longues heures au milieu des sombrals à se regarder. Malgré le fait qu'elle n'osait pas prononcer un seul mot, le jeune garçon continuer à déverser un flot de questions accompagné d'affirmations. Le soleil commença à décliner à travers les branches des arbres, ils étaient restés là toute la journée sans même l'avoir remarqué. Le temps s'était dégagé et on pouvait maintenant distinguer une lumière orange qui diminuait au fur et à mesure. Les quelques nuages qui restaient dans le ciel se déplaçaient beaucoup plus lentement, le vent s'était arrêté, comme si le temps venait de se figer. Toutes les bonnes ont une fin et d'un coup, la jeune fille se releva, saisit sa besace et s'engagea dans le chemin qui menait au château. Juste avant de disparaître derrière les troncs d'arbre, elle se retourna vers le jeune garçon. << A bientôt >> dit elle d'un ton joyeux, le sourire jusqu'aux pommettes. Il la contempla s'éloigner et s'écria << Edward, Edward Firestone ! >>

Lorsqu'il retourna dans sa salle commune le soir, il ne prit ni la peine de saluer ses camarades ou même de faire attention à ce qui se passait dans la salle commune. Il monta rapidement les marches qui menaient aux dortoirs, puis il entra dans le sien. Il s'allongea directement sur son lit puis ferma les yeux, se remémorant cette journée, la neige contre ses cheveux, ses mains et son cou, la beauté de cette jeune fille, la douceur et la gentillesse qu'elle dégageait. Pour la première fois depuis qu'il était à Poudlard, il se sentait vivre.