Poudlard s’était réveillé sous une épaisse couche de givre, ce qui lui donnait l’air d’un énorme gâteau de mariage parsemé de sucre glace, et le ciel, d’un gris soutenu, ne parvenait  pas à réchauffer l’air ambiant, glacial. A l’approche de décembre, cela n’était guère très étonnant dans cette région reculée de l’Ecosse. Pourtant, année après année, les locaux semblaient oublier les caprices de la nature et continuaient de s’étonner des extrêmes qu’elle pouvait atteindre. A moins que ce ne soit tout simplement une bonne occasion de maugréer ! Si Mahault adorait l’automne, elle n’était pas non plus insensible aux beautés glaciales de l’hiver et se réjouissait, comme les plus jeunes d’ailleurs, de l’arrivée prochaine des premières neiges.

Sortant du lit, elle dû renoncer à se mettre en jupe car il était plus que probable que ses orteils ne survivent pas à pareil traitement. Jegging gris sombre, chaussette en laine, pull noir à sequins avec un nœud en satin dans le dos et bottines fourrées lui semblait bien plus approprié aux moins dix degrés qui stagnaient depuis quelques jours. N’ayant pas cours de la journée, la couleuvre projeta de prendre un solide petit-déjeuner puis de passer la journée à paresser dans les fauteuils en cuir de la salle commune, un bon roman pour tout compagnon.

L’avantage, quand on était une serpentard, issue d’une famille d’obscurs et ancienne obscur soit même, c’est que la majorité des gens ne se préoccupent absolument pas de votre présence – ou de votre non présence– lors de leurs discussions. Mahault avait ainsi apprit de nombreuses choses, notamment le nom de plusieurs élèves suspectés d’être des résistants. Aemon Evans, Théoxane Mars, Hermès Charleston ou même Naranja d’Alvarez , ce qui l’avait beaucoup surprise d’ailleurs ! Comment la sœur d’une obscure aussi butée que pouvait l’être Anjelica d’Alvarez se retrouvait-elle cataloguée chez les résistants ?

Tout  en poussant les portes de la grande salle, Mahault fit tournoyer les noms dans sa tête. C’était une chose de savoir à qui on avait à faire, cela en était une autre de débarquer la bouche en cœur et de clamer « oyé mes amis, je ne suis plus une obscure, je suis une résistante ». De toute évidence, avoir un plan d’approche plus abouti n’était pas une option.  C’était même une nécessité.

Elle s’assit en bout de tablée et laissa son regard papillonner. Mily se trouvait non loin d’elle, fraîche et pimpante comme à son habitude. Elle aurait presque pu sentir les effluves sucrées de son parfum. Mahault se fit l’effet d’être une nature morte à côté d’un bouquet de roses fraichement coupé. Lamentable. Elle soupira. Se servant un énorme mug de chocolat chaud et des pancakes aux myrtilles, son regard accrocha brièvement deux yeux sombres. Ceux d’Anthony. Elle ne s’y attarda pas, bien que la brûlure de son regard sur sa peau fût cuisante. Elle n’était pas d’humeur à jouer à chat. Sa faim apaisée, la couleuvre reprit tranquillement le chemin de la salle commune.  Se nichant près de l’âtre, elle plongea le nez dans l’énorme roman qu’elle avait empreinté à la bibliothèque, quelques jours auparavant.  

Sa tranquillité fût de courte durée.

Un groupe de jeunes serpentard, toutes plus cruches les unes que les autres, arriva en piaillant. Elles s’installèrent comme des reines, emplissant la salle commune de jacasseries incessantes et de rires niais. Mahault leva les yeux au ciel. Si l’âge bête existait réellement, elles n’étaient pas prêtes d’en sortir ! Parvenant tant bien que mal à suivre le fil de son histoire, la couleuvre ne pouvait s’empêcher d’écouter d’une oreille distraite les derniers racontars. Les jeunes vipères venaient d’entamer le chapitre garçons à grands renforts de reniflements et de gloussements en tout genre.

… Mais si tu sais, le grand brun, là. Hum, attends voir que je me souvienne de son nom. Celui qui a un teint d’endive. Il traine parfois avec Durden…

Han ! Lui, il est trop cute. Et il joue si bien au Quidditch. Dommage qu’il soit si vieux. Attends, ce n’est pas de Roberson que tu causes là ?

Mahault sursauta malgré elle. Elle releva la tête tellement vite qu’elle en eu mal au cou. Fort heureusement, les jeunettes, absorbées par leurs plans sur la comète, ne remarquèrent rien de sa soudaine agitation. Prenant un air qu’elle voulait dégagé, Mahault bougea légèrement de place afin de mieux entendre la suite.

Oui ! Oui, c’est lui ! Mignon aussi dans le genre je suis un mec ténébreux mais apparemment il y a une fille, c’est une bombe, elle est à Pouffsouffle. Une super belle blonde, Brionny ou Bri je sais-pas quoi …

Ah ouais ! C’est la Dante ! Celle-là je ne peux pas la voir, elle se la pète trop, puis avec son mec là, on dirait un couple de tops models en carton-pâte...

Non mais attends, on est d’accord qu’elle a un mec, hein, mais on m’a dit qu’elle a fait des choses – la jeune écervelée fit un signe de guillemets avec ses doigts – avec Roberson !

Nooooon ?

Siiii ! Dans la salle sur demande. Au septième ! Et ce n’était pas pour faire semblant si vous voyez ce que je veux dire …

Mahault en avait assez entendu. Elle se leva, l’air de rien, ce qui n’était pas évident puisqu’elle avait juste envie de se terrer dans un trou pour hurler, tempêter et pleurer. Ou de commettre un meurtre. Voir deux. Le choix s’annonçait cornélien. La couleuvre posa son livre sur une table et sortit de la salle sans un mot. Son visage était livide et ses mains glacées. Il fallait qu’elle sorte prendre l’air. Faisant demi-tour, elle traversa la salle comme une furie sous le regard ahuri de ses comparses, ouvrit la porte du dortoir à grand fracas et récupéra son long caban noir, un bonnet, une écharpe et des gants. Une fois équipée pour les grands froids, elle sortit d’un pas rapide du château pour s’enfoncer dans le parc. La brunette erra longtemps. Le froid l’empêchant de penser. Sans y prendre garde, elle se retrouva sur le terrain de Quidditch. Il n’y aurait pas d’entraînement avant au moins plusieurs heures. Tant mieux. Elle grimpa dans les gradins, sortit sa baguette et commença à faire des bulles de savon pour se distraire. D’abord toutes simples, plus de plus en plus compliquées. Alors qu’une nuée d’étoiles nacrées s’envolaient vers le ciel gris, Mahault remarqua le jeune homme qui la dévisageait depuis le bas des gradins. Elle sourit. La journée ne serait peut être pas aussi mauvaise, après tout.