« Dis, pourquoi ? » Le garçon au cheveux de jais regarde sans comprendre la frimousse brune qui lui a posé la question. Du haut de ses six ans, la petite Delanna tente de formuler le fond de sa pensée. Malgré tout, il n’est pas sûr d’avoir bien saisi, et la petite s’impatiente, tapant du pied pour montrer son mécontentement, tirant un sourire attendri à son grand frère.

« Pourquoi quoi, Princesse ? » « Pourquoi tu pars ? » Il fronce les sourcils, et penche la tête sur le côté. La fillette se tortille, gênée de s’apercevoir qu’elle s’est faite prendre à son propre jeu. Sa mère lui a pourtant répété un nombre incalculable de fois qu’il ne faut pas écouter aux portes, et pourtant, elle continue, trouvant un intérêt certain à jouer avec le feu. Nerio pince ses lèvres en signe de désapprobation et secoue doucement la tête, sans un mot. Il abandonne son fauteuil et sort dans le jardin, abandonnant sa cadette dans le salon. Elle comprend alors qu’elle n’aura pas de réponse. Pas ce soir en tout cas. Ce n’est pas grave, elle retentera plus tard. Pour l’instant, il faut juste qu’elle se fasse pardonner d’avoir écouté une discussion d’adultes.

Nerio est assis sur le muret en pierres, les jambes dans le vide s’agitant nerveusement. Le soleil inonde la campagne, le chant des criquets résonne comme une douce mélodie à ses oreilles, l’odeur des pierres et de la terre chaude remonte à ses narines comme le plus délicieux des parfums et la légère brise qui agite les champs lui offre le plus beaux des tableaux. Il passe une main dans ses cheveux et s’apprête à se lever lorsqu’une tornade brune se jette sur lui en le suppliant de lui pardonner d’avoir écouté ce qu’il c’était dans la cuisine, la veille au soir. Il embrasse sa petite sœur en disant que ce n’est pas bien grave au fond mais que certaines conversations ne sont pas faîtes pour les petites filles. Alors, doucement, il la serre contre lui, fort, très fort, et lui chuchote à l’oreille qu’il ne partira pas tout de suite. Il sait qu’ainsi, il la rassure, même si il continuera de planer la peur de son départ. Elle doit l’aimer de trop cette gamine, qu’il disait son père. C’est fort probable.


Flashing lights in my mind
Going back to the time
Playing games in the street
Kicking balls with my feet

« Nerio ! Nerio, tu vas où ? » « Je vais au terrain avec les garçons. » « Je peux venir, hein, dis, je peux venir avec vous ? » « Non, Del’, c’est pas un endroit pour toi. Reste avec maman, elle a dit que vous feriez la cuisine ensemble cet après midi. » « Mais je veux venir avec toi moi ! En plus il y a Alessendro ! S’il te plaît, emmène moi avec toi ! » « J’ai dit non. Et oublie tout de suite Alessendro, il n’est pas pour toi. Devant la moue choquée de sa sœur, il ajoute. Il est trop vieux. Puis il a une copine aussi. » « Si tu ne me laisses pas venir, je vais dire à papa que tu as désobéis et que tu es sorti ! » « Mais fais donc, Delanna, fais donc. Tu verras bien ce qu’il dira, quand il verra qu’il a une fille qui est une vilaine rapporteuse ! »

Oh, bien sûr qu’il sait qu’il l’a blessé. Mais c’est vrai, le terrain est trop dangereux pour une fille de huit ans. Et puis c’est sûrement les derniers instants qu’ils peuvent passer tous ensemble, parce qu’elle n’a pas tord Del’ finalement, quand son père reviendra d’il ne sait trop où, il ne pourra plus sortir comme il le fait aujourd’hui. Donc autant en profiter non ?

Il passe une belle après midi avec ses quatre meilleurs amis, comme à chaque fois. Mais chez lui l’attend une surprise dont il se serait bien passé. Son père, rentré plus tôt que prévu. Le jeune garçon passe une mauvaise soirée ce jour là. Entre autre, on lui fit bien comprendre que ses fréquentions sont plus que mauvaises, et qu’il doit cesser dans l’instant d’entretenir une relation, ou même une communication avec ses amis. Il ne dit rien, se contente d’acquiescer. Il ne veut pas décevoir son père. Alors il fera.

Et, bien sûr, il l’a fait.

Where you go I go,
What you see I see
I know I'll never be me, without the security
Of your loving arms
Keeping me from harm
Put your hand in my hand
And we'll stand


« Nerio, attends ! » Il sourit et se retrouve, observant sans un mot sa cadette dévaler les escaliers à une vitesse hallucinante pour venir se jeter dans ses bras. Il la réceptionne comme il peut, et la garde au creux de son étreinte pendant un moment, jusqu’à ce que les battements de leurs cœurs se soient apaisés, et que les larmes de Delanna se soient taries. Sans rien dire la jolie demoiselle enfile un cordon de cuir au poignet de son frère et lui tend un tout petit ours en peluche, qu’il attrape du bout des doigts, avant de le glisser dans sa poche et de reprendre sa sœur dans ses bras. « C’est la peluche du voyage, tu te souviens ? » « Oui, Princesse, oui je me souviens. Merci. » « Tu vas me manquer Nio. Beaucoup. » « A moi aussi, Princesse. Mais je ne vais qu’en Scandinavie, c’est pas bien loin tu sais. Quelques centaines de kilomètres. Et puis je rentrerais souvent. » « En attendant, je suis seule ici moi. » « Je suis désolé, je n’ai pas le choix, Del’. » Elle hoche tristement la tête et il lui fait un bisou sur le front, avant de passer dans la cuisine embrasser sa mère et son père. Il sont fiers de lui, il le sait. Leurs sourires le lui prouvent. L’étreinte qu’il reçoit le lui prouve. Les mots gentils également.

Il repasse au salon, et remarque que Delanna n’a pas bougé. « Bah alors, Princesse, qu’est-ce qu’il se passe ? » Elle le regarde, les yeux embués de larmes, et un sanglot s’échappe de sa gorge. « Tu peux pas m’emmener avec toi ? Je me ferais toute petite, je te jure, je veux même bien aller dans ta valise, tu sais ! Je veux pas que tu partes, Nio ! Reste avec moi ! » « Mais enfin, Del’, on en a parlé des centaines de fois de tout ça. Tu me rejoindras plus tard, dans deux ans. » « Tu mens, Nio. Et tu dis toujours que c’est mal de mentir. » C’est à son tour de froncer les sourcils, plongé dans une totale incompréhension. « Mais Del’, qu’est-ce qui se passe ? » « Mes pouvoirs se sont toujours pas manifesté, toi à cette époque tu étais déjà un sorcier… Et puis si je suis pas une sorcière comme toi, tu vas plus m‘aimer…» Il éclate de rire, s’attirant les fausses foudres de l’enfant devant lui. « Princesse, c’est pas bien grave tout ça ! Si tu es une sorcière, tu recevras ta lettre comme moi, pouvoirs ou non. Et puis si tu ne l’es pas, ça ne change rien, je t’aimerais toujours autant ! » « Promis ? » « Oui, promis. »

Il glisse un mot dans la main de la petite, juste avant son départ.

Pour toujours dans ton cœur,
A jamais dans le mien, ma Princesse.
Nio.


If we could only have this life for
one more day
If we could only turn back time


Été. Saison sympathique, il l’affectionne beaucoup. Notamment pour le temps qu’il peut passer auprès des siens. Delanna s’est finalement découvert des talents de sorcière sur le tard, se rendant depuis deux ans maintenant à chaque rentrée en France. Ils n’en ont été que considérablement rapproché, si bien entendu, cela fût possible. Nerio n’est pas un mauvais élève, il est même plutôt bon d’ailleurs. Un peu flemmard certes, mais sachant montrer un intérêt et une passion sans égale pour les matières trouvant grâce à ses yeux. En sport non plus, il n’est pas en reste, mais il n’affectionne le Quidditch qu’en tant que spectateur, c’est certain. Lui se porte plus sur les courses à pieds, les pompes et les étirements pour rester en forme.

Il a quinze ans. Il a enfin comprit les agissements de son père, et se demande comment il a fait pour ne pas le comprendre avant. Mafia. Il n’en est pas fier, loin de là, il connait les risques et les enjeux de ce genre de métier. Mais il ne dit rien, puisque de toute façon, personne ne l’écouterait. Il n’est qu’un enfant au yeux du monde.

La dispute éclate dans une ruelle sombre, la nuit tombée. Ils n’avaient pas cherché les problèmes. Ça ne devait pas être une soirée propice à la bagarre, juste un moment en souvenir du bon vieux temps. Oui, il avait fini par recontacter ses amis d’enfance. Seul Alessendro avait répondu à son appel, et ils avaient filés ni vus ni connus en ville, au crépuscule. Au départ, le jeune garçon ne comprend pas ce que veulent les quatre garçons en face de lui, qui cherche à les acculer contre le mur. Mais il n’est pas spécialement idiot, et fait vite le lien entre les affaires de son père et ce garçon qui l’importune plus que les autres. A vu d’œil, il ne doit avoir qu’un ou deux ans de plus que lui, et il n’est pas forcément mieux bâti. Un peu rondouillard sur les bords, à en juger par son double menton et ses joues bien rebondies.

Nerio n’aime pas le ton que prend la conversation. Il ne sait même pas comment ils ont fait pour savoir qu’il serait là. C’est son coin depuis toujours, à lui et aux garçons. A cette pensée, il comprend. Trahi. Déglutissant, le métisse tente de s’échapper avec une feinte, qui échoue lamentablement, et il se retrouve le dos collé au mur, encore chaud d’avoir été exposé au soleil toute la journée. Il essaye de faire s’apaiser les battements douloureux de son myocarde qui bat à tout rompre dans sa cage thoracique, à faire disparaitre le bruit du sang résonnant à ses oreilles comme une mélodie enflammée, le tremblement de ses doigts ressemblants à ceux d'une personne en manque, et les larmes brouillant sa vue comme une preuve de sa faiblesse. Il a peur. Pour la première fois de sa vie, il a véritablement peur. Et il reste dans sa bouche le goût amer de la trahison.

Et il se passe enfin quelque chose de très flou. Nerio ne saisit pas ce qui se passe, jusqu’au moment où le poing de son rival le cueille au creux de l’estomac, le pliant en deux, et qu’un genou profite du fait qu’il soit plié en deux pour rencontrer, douloureusement, et dans un bruit écœurant, la partie gauche de son visage. Il est prêt à parier que son arcade sourcilière est cassée et que son nez est fissuré. A l’instant où son adversaire s’apprête à lui assener un nouveau coup de poing, Nerio réagit et se jette sur lui, les entrainant dans une roulade où pleuvent coups de poings, de pieds et de genoux.

Il entend l’autre gémir de douleur, et se recroqueviller. Il en profite pour se relever, et sonder les alentours. Les autres ont déguerpis. « Trouillards. » Le mot résonne comme une sentence dans la chaleur de la nuit italienne, et, à son tour, il s’en va, sans se retourner. Il sait juste qu’il ne reviendra pas. Jamais.




Les hurlements au rez de chaussée couvrent jusqu’au bruit que délivre sa chaîne stéréo, et il soupire, éteignant rageusement l’engin, avant de descendre les escaliers en quatrième vitesse, Delanna sur les talons, prêt à hurler un bon coup contre ses parents qui l’importunent de si bonne heure. Son père est assit sur une chaise en bois, serrant fortement son journal de ses mains tremblantes de fureur contenue, et sa mère pointe sur lui la spatule en plastique qui lui permet de remuer le contenu du plat, qui, inconscient de la scène qui se déroule dans la pièce, continu de mijoter doucement. Nerio assiste à ce combat de regards, impuissant, et sa sœur glisse une main dans la sienne, la serrant doucement pour se rassurer. Une odeur de brûlé envahit petit à petit la pièce, mais aucun n’y prête attention, tous retenant leurs souffles dans l’attente de la suite. Suite qui changea la donne. A jamais.


It's too cold outside
For angels to fly


« C’est moche l’Angleterre. En plus ils ont une langue vraiment nulle. Ça me donne juste pas envie d’aller continuer mes études là bas. Et Del’ n’est pas là. » « Delanna est restée en Italie avec ton père comme ce qui était convenu, tu as choisi Nerio. Ne recommence pas, nous avons déjà eu cette conversation. » Un soupire agacé s’échappe des lèvres du jeune garçon, et il resserre son manteau autours de lui, maugréant contre la pluie qui s’abat sans discontinuer depuis le début de la matinée. « Il pleut toujours ici ou quoi ? On est fin août, il devrait faire beau quoi. » « C’est l’Angleterre chéri, pas Vérone. » Il leva les yeux au ciel et s’enfonça dans le siège du taxi, sa tête posée contre la vitre froide. « Tu ne m’as pas dit pourquoi vous vous étiez disputé avec papa. » « Ne joue pas à l’enfant stupide, Nerio, tu sais très bien. » « J’ai comprit dans les grandes lignes, mais j’aimerais bien savoir pourquoi on a du faire un choix, et pourquoi ma sœur reste là bas et moi je viens. » « Nous t’avons laissé le choix, tu as décidé de venir, elle voulait rester avec ses amies de l’école. Quand au reste… Les dernières actions de ton père ne m’ont pas plu, et j’ai… décidé de m’éloigner, pour vous. » Il éclate d’un rire sans joie, et se tourne vers elle, le regard indéchiffrable. « C’est une bonne blague ça. Pour nous, alors que Delanna reste là bas. Tu te moques du monde ? » « Nerio De Massari, change de ton avec moi ! J'ai laissé à ta sœur le choix de la vie qu’elle veut mener, et elle a choisi son père et l’insécurité qu’il lui offre à son frère et sa mère et à l’amour qu’on lui porte. C’est ainsi. Tu ne peux pas m’en vouloir. » « Oh si. Et tu ignores combien je t’en veux de me prendre ma sœur, mon cœur, la moitié de moi-même. J’espère simplement que tu souffriras autant que moi de son absence, que tu ais une idée du gouffre béant qu’il y a dans mon cœur en cet instant. » Le conducteur du véhicule regarde d’un air peu rassuré l’adolescent en colère assit sur sa banquette arrière, sa voix rauque et mauvaise créant en lui une multitude de frissons désagréables.

Nerio se ferme alors, enfonce ses écouteurs dans ses oreilles, augmente le volume ostensiblement et se retourne vers la fenêtre, les yeux rivés sur l’extérieur londonien qui défile, sans réellement y porter un quelconque intérêt. Maudite ville, maudit temps, et maudite école.





Il déteste déjà cette école, et les gens qu’elle abrite. Il n’y est pourtant que depuis quelques jours. Tout est trop. Les bâtiments sont trop grands, trop anciens, les escaliers trop imprévisibles, les gens trop superficiels, trop bruyants, trop vicieux, peu ouverts, encore que ce n’est pas lui qui va s’en plaindre, et le temps, le temps est pire que tout. Il fait toujours gris. Mais à part cela, rien ne change. Toujours aussi solitaire, toujours aussi sérieux, toujours aussi malheureux. Il y a bien une ou deux personnes avec qui il s’entend plus ou moins bien, mais rien de plus. Les cours ne le passionnent pas plus que cela, mais il travaille, puisque c’est bien la seule chose qui lui reste. Les cours et son chat. September. Un cadeau de sa sœur pour son départ, un matou amoureux de toute personne possédant des bras pour une séance câlin.

Il ne rêve que d’une chose. Revenir en arrière. Ou passer au moins ce mois de septembre sans encombres. Juste pour se prouver à lui-même que ça ira.