vis ma vie
C’était un matin de décembre. Des cendres et des poussières qui tournent autour de moi. C’était un matin de décembre. Un matin parmi les 365 autres de cette année maudite. J’aurais pu affirmer qu’il était un de ces matins gris acier et froid qui donne envie de rester enfoui sous sa couette toute la journée. Mais ce n’était pas le cas. C’était un beau jour. Un jour où le givre recouvrait le monde d’une parure de diamant sous l’influence du Dieu Soleil. Un jour où la brume s’étirait langoureusement dans les rues comme pour laver le monde de toutes ces atrocités. Un de ces jours où même l’air parait plus pur, plus frais, plus revigorant. C’était un matin de décembre …
Assise sur les marches du perron, bien au chaud dans la veste doublée mouton de Saez, je sirotais mon thé en regardant mes voisins décorer leur maison pour Noël. Des moldus. De gentils moldus. Elle, la trentaine, petite et fine, rousse comme un renard, avec un petit air mutin et des vêtements totalement improbables. Lui, légèrement plus jeune, un bouc et des cheveux noirs de jais, une chemise à carreaux et un look de trappeur canadien. Il était à peine l’aube et pourtant, ils riaient déjà aux éclats. En mordant dans un biscuit au gingembre, j’eu un pincement au cœur. J’enviais leur inconscience. J’enviais cette capacité à rire en ces temps troublés. J’enviais la simplicité de leur vie. Je refermais légèrement la veste contre ma poitrine et enfoui mon nez dans les bouclettes blanches et douces de la doublure. Cette odeur chaude de cannelle, son parfum, son odeur …
Mon regard accrocha le coin de rue et mon cœur dégringola de plusieurs étages avant de remonter tout aussi vite dans ma poitrine, le sang se mit à pulser à mes oreilles, les fourmillements de l’adrénaline faisant déjà leur chemin dans mes membres … ma main agrippant déjà la baguette de rosier posée sur mes genoux. Puis la peur céda la place à la réalité. Ce n’était qu’un chat. Cette ombre furtive derrière la poubelle. Un pauvre chat affamé à la recherche de quelques douceurs. J’abaissais ma main, refourguant ma baguette aux replis du tissu rêche. Toujours nauséeuse de ce brusque accès de panique, je reposais la tasse sur les lattes de bois noircies et décida de faire quelques pas dans le jardin pour évacuer les derniers relans de la peur.
Un petit rire sorti de ma gorge devant l’absurdité de la situation. Etranglé. Désabusé. Pathétique.
Qui aurait pensé qu’un jour, je me retrouverais à fuir comme un animal traqué, à fuir comme tous ces sang mêlés… certainement pas moi. Non, pas moi. Mahault Georgia Peverell. Descendante du tristement célèbre Cadmus Peverell. Cousine éloignée de la famille Gaunt et par conséquent … De vous savez qui. Mes parents étaient des fidèles partisans de cet homme. La famille, vous comprenez. Si c’était si simple. Poids des traditions et des liens familiaux, opportunisme, ou peut-être tout simplement prétention de croire que tout ceci était véritablement la chose à faire …
Mon père à préférer se ranger à leurs arguments. C’était « plus simple pour tout le monde et la bonne chose à faire pour protéger notre famille et nos valeurs, ma chérie ». Foutaises. Quant à ma mère, je ne pense pas qu’elle ait eu grand-chose à dire. Comme pour à peu près tout ce qui concerne notre famille ou sa vie, en fait. Soumise comme elle est. Faut quand même bien avouer qu’au début, c’était le grand pied. On nous a relogés dans un superbe appartement de Londres, avec elfes de maison et tout le tralala. Mon père a obtenu une promotion, ma mère pouvait courir les boutiques huppées, ils y trouvaient bien leur compte et moi aussi. Petite fille naïve et gâtée que j’étais. Parce que, quand même, si des sorciers pensaient comme Lui, c’est qu’il n’y a pas de fumée sans feu, comme dirait l’autre. Peut-être qu’ils ont bien mérités ce qui leur arrivent. Je ne vous dis pas comment mon père a été ravi quand les mangemorts ont fait main basse sur l’école, sa petite fille adorée aurait les meilleures conditions du monde pour sa scolarité.
Puis est venu le temps des désillusions. En tout cas, pour moi. Pour eux, la leçon à été plus sévère. Et maintenant je suis là, assise sur ce perron par ce froid matin de décembre, à boire du thé et à marcher dans un jardinet délabré, sans aucune idée de ce qu’il faut faire à part survivre. Je tripote machinalement une mèche de cheveux en contemplant mes pieds nus sur la pelouse givrée. Cela crise sous ma peau. C’est froid. Mouillé. Cela m’ancre dans la terre. Cela me fait du bien. Le rythme de mon cœur ralenti et je laisse vagabonder mes pensées. A la lettre de mon petit frère froissée sur le couvre lit. A Saez qui dort encore sur le canapé défoncé. A la boite de chili con carné froid qui sera notre repas de midi. A demain. A hier. A mes parents. A toute cette connerie. Soudain, des bras forts m’enlacent. J’inspire profondément et laisse ma tête aller contre son torse. Saez dépose un baiser sur ma tempe puis sur ma joue.
Coucou, petit moineau, pourquoi es-tu ici à l’aube alors que tu pourrais être avec moi, bien au chaud ?Je ne pouvais plus dormir. Et il y a eu un chat.
Saez hocha la tête. Il ne critiquait jamais ma tendance à la paranoïa. Ne se moquait jamais de mes angoisses, ni de mes lubies, comme celle de marcher pieds nus dans l’herbe par moins cinq degrés. Ni d’avoir pris un pauvre chat pour un animagus en reconnaissance. Ni d’avoir exigé que l’on quitte se squat dès aujourd’hui alors que ça fait un an qu’on n’en a pas eu d’aussi confortable. Saez s’occupait de moi depuis un an et demi. Comme un père. Comme une mère. Comme l’homme éperdument amoureux qu’il était. Durant des semaines, il m’avait porté, nourrie, lavée, veillant sur mon sommeil, calmant mes brutales crises d’angoisse… Il se contenta de me serrer contre lui pour me réchauffer, puis se retourna vers la maisonnée pour se chercher un café, le thé étant une boisson de filles, selon ses dires. J’attrapais ses doigts, portant l’autre main à sa joue.
Saez … Voix rauque et éraillée par les nuits sans sommeil, les heures de chagrin à pleurer contre son torse, les longues journées d’angoisse.
Saez, je t’aime. Un sourire. Un baiser. Un rayon de soleil. Des éclats de givre. Un embrun de café frais. Et le monde cessa de tourner.
Il y eu un bruit effroyable, une sorte de grondement provenant des profondeurs de la Terre, comme un orage sous terrain, la terre se mit à vibrer, les sapins décharnés du jardinet se mirent à craquer de toute part, une odeur de soufre se rependit dans l’air…
Je cherchais du regard mes voisins ... qui continuait leur petite vie.
Instinctivement, je me mis accroupis, puisque de toute manière, le sol tremblait tellement que je ne tenais plus debout puis j’attrapais une pierre que je lançais de toutes mes forces par-dessus la barrière. Pierre qui se fracassa contre un mur magique d’une hauteur vertigineuse et qui revient vers moi avec l’allure d’un boomerang mortel. Me plaquant contre le sol, je sortis ma baguette de ma poche. Et mon regard croisa celui du chat. Un regard jaune qui vira au brun. Un regard humain. Et sournois. Un haut le cœur me souleva toute entière et c’est tremblante comme une feuille que je me réfugiais derrière l’escalier de la pauvre maison malmenée. Le chat n’était plus chat. Le chat était devenu homme. Il s’avançait vers moi, baguette à la main, rictus sur le visage quand une ombre le percuta de plein fouet. Un boulet de canon. Saez. Désarmé. Les éléments se cognaient dans mon esprit sans pour autant faire une suite logique. J’étais incapable de bouger. D’agir. On allait mourir. On allait mourir ici. Ils allaient nous tuer. On allait mourir. On allait tous les deux mourir. Ne respire pas le souffre. Saez. Saez était désarmé. Ne bouge pas. On allait mourir.
La pauvre bicoque gémissait, grinçait, des bruits lugubres, une complainte terrifiante. Des cendres et des poussières volaient autour de moi.
La sueur coulait le long de mon dos, mes mains étaient tellement moites que ma baguette ne cessait de me tomber des doigts alors que je m’y accrochais comme à une bouée de sauvetage. Soudain, mon cerveau entrevu une possibilité. Saez maintenait le milicien plaqué au sol. Je me levais, vascillais sous les secousses, puis me mis à courir dans leur direction. Saez me hurla que sa baguette était tombée dans une rainure du parquet aux premiers tremblements. Il luttait contre le colosse mais semblait s’épuiser rapidement.
Le cerveau en pilote automatique, je secouais ma baguette et des lianes terreuses sortirent du sol pour s’enrouler autour des jambes et des poignets du mangemort, qui poussa un hurlement d’indignation et de colère sourde. La maitrise des sortilèges informulés avait été la clef de notre survie les six derniers mois. J’attrapais Saez par la main. Une tempête de pensées cahotiques agitait mon esprit et j’éprouvais les plus grandes difficultés à me concentrer, à réfléchir. Ma tête me faisait mal, une douleur atroce déferlant sous mon crâne à chaque fois que je bougeais. On avait à peine fait dix pas qu’ une détonation étouffée retentit à moins de cinq mètre de nous. Je jetais un regard affolé en arrière, le milicien n’était plus là.
Saez porta la main à son cou et s’abattit comme une masse. Le colosse surgit de l’arrière de la maison, qui commençait à sérieusement s’effondrer. Si les miliciens étaient majoritairement bêtes comme des choux, celui-ci avait indéniablement le sens du spectacle. La bile me remonta dans la gorge et mes yeux s’embuèrent de larmes de détresse. Je levais ma baguette. Le sort me cueillit au creux de l’estomac et j’eu l’impression que mes veines s’étaient mises à transporter du métal en fusion, que je m’embrasais de l’intérieur. Outre cette atroce douleur, je me retrouvais déconnectée de mes muscles et de ma volonté, ce qui était sans doute mieux car je n’aurais pas hésité à me déchiqueter avec mes ongles et mes dents tant je souffrais. Une vague sombre me submergea et je perdis connaissance, la dernière image que j’emporterais avec moi dans les ténèbres étant celle des beaux yeux de Saez. Sans aucune étincelle brillant à l’intérieur.
Quand je reviens à moi, il faisait sombre. Je scrutais l’obscurité, redoutant de découvrir le corps de Saez mais il n’en fut rien. Car je n’étais plus dans le jardinet de la petite maison de Londres. J’étais assise dans un lit blanc. Avec des draps propres et doux. Des armoires, des fioles, les dalles en pierre, le paravent bleu, le lustre en fer forgé, les petites veilleuses … L’infirmerie de Poudlard ! Rien n’avait changé en un an et demi d’absence. Cette prise de conscience, loin de m’accabler, décupla ma détermination. Très bien. Ils avaient tués mes parents. Ils avaient tués mon frère. Et maintenant mon amour. Ils avaient piétiné les derniers espoirs, anéanti ma vie. Ils allaient payer. Mon corps entier me faisait mal mais j’ignorais la douleur, la traitant par le mépris puisque je ne pouvais la faire disparaître. Surtout pas celle qui empoisonnait dorénavant mon cœur. Me roulant en boule sous les draps, je pris une décision. J’étais une Peverell. J’étais une sang pur. J’étais un as dans leur manche. J’étais insoupçonnable. Je deviendrais donc leur pire cauchemar.