Elle se mettait du rouge à lèvres rouge pétant, se maquillait presque outrageusement. Elle mettait des talons de  douze centimètres, des jupes très moulantes. Elle restait des heures devant la glace et se poudrer, à se parfumer un peu trop fort peut-être. Elle avait une démarche élégante, une silhouette svelte. Elle avait le physique et le chic italien. Elle avait trente-quatre ans mais en faisait au moins sept de moins. Elle avait tout pour plaire.


Sienna jouait à cache-cache avec Milo, son petit frère de quatre ans son cadet. Alors qu’il fermait les yeux et comptait, elle s’amusait à se mettre juste derrière lui et à lui faire une peur bleue lorsqu’il se tournait pour aller la chercher. Il se faisait avoir à chaque fois ce navet, c’était pas possible. En même temps, à quatre ans on n’était pas forcément très futé. Sienna adorait l’idée d’avoir un petit nain qu’on pouvait mener au doigt et à la baguette, un pantin à manipuler sans problème. Milo, c’était un peu ça. Il écoutait toujours la bouche grande ouverte et en hochant vigoureusement la tête, tous les mots que sa grande sœur lui sortait. Elle était grande, elle avait forcément raison. Et puis, avec des parents qui courraient tout le temps dans tous les sens du fait de leurs boulots respectifs, c’était un petit peu elle qui s’occupait d’enseigner du haut de ses huit ans les choses de la vie à son cadet (si on oubliait la gouvernante un peu trop gaga). Autant vous dire que c’était pas forcément le mieux pour lui.


Elle sortait très souvent le soir, boire dans les bars. Son mari était très souvent absent, et autant dire que ça l’arrangeait pas mal. Elle donnait libre cours à ses envies, à ses fantasmes. Je suis maître de mon destin, capitaine de mon âme, se répétait-elle chaque soir avant de sortir. Elle était libre et épanouie. Elle vivait dans le secret, elle vivait dans la nuit.


Après une énième grimace de la part de Sienna, Milo se mit à fondre en larmes. Sienna leva les yeux au ciel, les mains sur les hanches. « Je veux plus jouer ! » Sanglota-t-il.  « Mais t’es vraiment un bébé ! » « Mais… mais… je veux que tu joues pour de vrai. » « D’accord d’accord je me cache si c’est comme ça. T’es vraiment pas drôle. » Dit Sienna exaspérée. Tandis que le petit Milo comptait comme un escargot, Sienna prit son temps pour trouver une super cachette dans l’immense manoir des Castelli. Cette famille de sang pur, de Milan plus précisément était  une des plus fortunées d’Italie. Ca faisait déjà deux générations qu’elle était installée à Londres pour les affaires et on ne pouvait pas dire que ces dernières étaient au plus mal, surtout quand on savait qu’elle comptait un bon nombre de mangemorts dans ses rangs. Il ne me trouvera pas. Et dès qu’il s’approchera, je sortirais et je lui ferais très peur ! Il va rien comprendre. Elle poussa la chambre de ses parents et s’enferma dans l’armoire, la laissant toutefois entrouverte pour guetter la venue de Milo.


« T’es sûre qu’il n’y a personne Giulia ? » Dit-elle en pénétrant dans la chambre des Castelli. « Sûre. Gabrio est en voyage d’affaire à Paris, il ne reviendra pas avant lundi. Et puis mes enfants… à leurs yeux comme à ceux de mon mari tu es ma meilleure amie. » Giulia planta ses yeux dans ceux de sa « meilleure amie ». «Ils sont en train de jouer en bas, la gouvernante les surveille.»


Sienna observait la scène, intriguée. C’était bien SA maman qui était en train de coller sa bouche à celle de cette femme ? Trop chelou. Les bisous on pouvait les faire sur la bouche aussi, même quand on est pas marié ? Deux femmes peuvent se faire un bisou aussi ? N’osant pas bouger, Sienna décida toutefois de fermer les yeux lorsqu’elles décidèrent de passer sous la couette. Ça devenait vraiment trop bizarre. Mais ça ne dura pas bien longtemps car on entendit vite Milo appeler sa sœur à travers la porte et les deux femmes s’empressèrent de renfiler leurs vêtements. C’est là que Giulia Castelli ouvrit l’armoire.


Elle n’avait pas arrêté pour autant de se maquiller, de s’habiller, de sortir. Non. Même si son aîné avait tout découvert, elle n’allait pas s’empêcher de vivre pour autant. Elle avait fait d’elle son alliée, sa complice. Sienne le prenait comme un jeu. Elle aimait  l’idée de partager un secret, d’avoir trouvé le moyen de se rapprocher de sa mère qui, il fallait le dire, était si fascinante. Découvrir qu’elle avait une vie secrète avait attisé sa curiosité. Sa mère, son unique modèle féminin était soudainement devenu la personne la plus intéressante de son entourage. Et c’est donc tout naturellement que Sienna décida de tout faire, absolument tout, pour lui ressembler. A commencer par son goût pour la sournoiserie et le mensonge.



Sienna aida pendant six ans sa mère à voir son amante en cachette sans que quiconque ne se doute qu’il y avait anguille sous roche. Il fallait dire qu’elles étaient non seulement discrètes, mais aussi douées et particulièrement méticuleuses.

Trois ans passèrent. Emue aux larmes, mais pressée de faire ses preuves, Sienna quitta le manoir et intégra la maison Serpentard à Poudlard, s’y faisant rapidement une place. C’avait été la maison de ses deux parents. Elle n’aurait pu être plus comblée. En revenant l’été, elle décida pour la première fois de suivre sa mère la nuit en cachette, découvrant alors dans quel monde celle-ci vivait. Lumières, bières,  paillettes, satin et dentelle. Tout simplement captivant.

Un an passa. Sienna s’était fixé un objectif : être la meilleure. Pas forcément la meilleure en classe, mais la meilleure tout court. Tout comme elle avait manipulé son petit frère toute son enfance, Sienna tentait de faire pareil avec les autres. C’était loin d’être chose aisée ; le retour à la réalité fut dur, on la trouvait prétentieuse, trop princesse, on se foutait de sa gueule. Elle n’avait pas assez d’assurance pour assumer un rôle de leader, pas à l’échelle d’une promotion en tout cas. Sa seule consolation ? L’été. Retrouver sa mère, sa meilleure amie. Sa plus grande alliée. Elles s’étaient particulièrement rapprochées. Giulia lui permettait d’apercevoir ce que c’était la « vraie vie », ce qui l’attendrait après ces sept années d’études. Sienna n’en n’avait que faire de ces ado pré-pubères qui en étaient encore à l’étape bombabouse et jus de citrouilles. Certes, elle ne touchait évidemment pas à l’alcool et n’avait pas le droit d’accompagner sa mère lors de ses sorties nocturnes, mais les récits de cette dernière suffisaient à la faire rêver. Leur relation était fusionnelle. Elles se racontaient absolument tous les détails de leurs vies respectives. On n’avait jamais vu mère et fille aussi proches.

Deux ans passèrent encore. Le mangemort s’en alla sans un mot de plus. Sienna posa ses valises au sol et chercha sa mère dans le vaste manoir. Etrange. D’ordinaire quand Sienna annonçait qu’elle venait l’été, sa mère l’attendait toujours dans la cuisine, en train de préparer des cookies bien chauds, comme elle les aimait.  Mais là, elle eut beau fouiller le manoir de fond en comble, il n’y avait aucune trace d’elle. Exceptionnellement, son père était là, non pas à son bureau, mais assis dans le salon, avec Milo non loin, qui se mordait les lèvres, l’air assez anxieux du haut de ses dix ans. « Oh tu es là, bella mia. » Il se leva pour l’embrasser. « Tu veux des cookies ? » Dit Gabrio en esquissant un sourire, qui cachait à l’évidence quelque chose. Sienna attrapa un cookie et fronça le nez en le reniflant : « C’est pas les cookies de mamma. Elle est où ? Elle se débrouille toujours pour être là quand on fixe une date pour que je puisse rentrer. » Personne ne lui répondit. Elle croisa le regard de Milo ; celui-ci baissa les yeux. Il avait manifestement quelque chose à se reprocher. « Milo, où est mamma ? » Il ne daigna même pas de lever la tête. « Papà ? »  Sienna commença à se poser des questions. « Elle est où ? » insista-t-elle. «Ecoute, je sais que c’est difficile à avaler mais... Elle est partie. »  Sienna réagit au quart de tour : « COMMENT CA PARTIE ? »






«  Je veux quitter cette ville, ce pays à la con. Je ne veux plus jamais voir ni mon père, ni mon frère.  » Ça ressemblait à un caprice d’adolescent – et ç’en était certainement un. Sienna tenait une cigarette allumée, la toute première de sa vie, entre ses doigts et hésitait à la porter à ses lèvres. Tina, une amie sorcière également, la regardait en haussant les épaules. « Tant que t’es mineure, ça va pas être facile, à moins que tu habites chez de la famille d’ailleurs… mais même, t’es toujours à Poudlard, tu pourras jamais vraiment quitter le pays. Les mangemorts te chercheront. T’es tracée jusqu’à tes dix-sept ans.» Sienna poussa un juron en écrasant sa cigarette. « Etre l’année prochaine dans la même école que ce connard, ce traitre de frère ? Plutôt mourir ! Je ne veux plus jamais voir sa face. T’imagine même pas le calvaire… » Fit-elle, la gorge nouée.


La jeune fille enfilait sa tenue bleu poudre pour la première fois. Elle se mira dans la glace, à moitié satisfaite. Certes, c’était toujours plus élégant que sa robe noire traditionnelle, mais c’était décidément toujours aussi démodé.

Vous êtes renvoyée. lui avait-on dit. Elle avait tout fait pour en même temps. Elle s’était acharnée à ne rien faire, à bouder l’humanité, à avoir des notes si catastrophiques qu’un deuxième redoublement n’était même pas envisageable. Ca faisait déjà deux qu’elle s’était mise en tête qu’elle partirait. Ces deux années oui, elle avait pioché dans le compte en banque de son père en secret, amassant des économies, pour quand elle se ferait renvoyer. Sans plus d’ambition que ça, elle s’était dit qu’elle partirait à la recherche de sa mère, que son père avait mis à la porte. Car la vérité, c’était que Milo avait découvert la liaison de sa mère et s’était empressé de la rapporter au mari de celle-ci. Le divorce avait été à son avantage. Giulia n’avait absolument pas le droit de ne serait-ce que de tenter de communiquer avec ses propres enfants. Peu importe les cris, les pleurs, les colères de l’aînée. Elle aurait été morte, ça n’aurait pas été plus différent que ça.

Sienna n’avait pas pardonné ça à Gabrio, ni Milo –et elle ne le fera sans doute jamais.

Sauf que, ce n’était pas si facile que ça, de quitter l’école, même sûr un coup de tête, quand on est mineure. Si Poudlard avait refusé de la reprendre pour une troisième quatrième année, Gabrio avait fait jouer de ses relations à l’étranger. Au lieu de sortir complètement de système éducatif sorcier, c’était donc à Beauxbâtons que la demoiselle avait été contrainte de poursuivre sa scolarité. Soulagée néanmoins de ne plus avoir à supporter sa famille et surtout son père, Sienna s’installa chez ses grands-parents paternels, à Monaco. Une nouvelle vie commençait pour elle. Elle voulut prendre un nouveau départ. Elle essaya de changer de visage : douce et tendrement timide, elle voulait se mettre tout le monde dans la poche. Mais elle était fragile, elle était perdue au fond. A la moindre contrariété, elle explosait, prenant tout contre elle. C’était raté, sa vraie nature reprenait à chaque fois invariablement le dessus. Elle laissa tomber au bout de quelques semaines.


Un peu hésitante. Sienna s’essaya au rouge à lèvres foncé, celui qu’elle avait un jour volé à sa mère. Elle s’en allait retrouver un ami très cher, un sorcier qu’elle avait rencontré durant l’été. Il avait vingt-et-un ans, elle n’en n’avait que seize, mais qu’importe, elle faisait plus que son âge dans son comportement comme dans sa manière de voir les choses. Ce sorcier français parlait très bien anglais, et il avait décidé de lui apprendre un peu cette langue, pour qu’elle puisse suivre un minimum les cours à Beauxbâtons… et plus si affinité.

« Ca va, tu progresses ma belle. A ce rythme, tu deviendras vite bilingue.  » Dit-il en se penchant pour un baiser. Sienna le repoussa avec un sourire. « Tu te moques de moi ou quoi ? Je suis déjà bilingue. Anglais-italien.  » « On a beau être sur la frontière italienne, c’est pas pour autant qu’on te comprendra.  » «  Oh, tais-toi !  » Dit-elle en posant ses lèvres ses les siennes en riant.

Elle était amoureuse. Elle était heureuse. Elle n’aurait jamais cru que c’était en France qu’elle se sentirait si bien.

Mais l’été touchait à sa fin. Et il dû repartir, il avait des obligations.. «Je ne pourrais pas revenir avant l’été prochain…. Et encore je ne suis pas sûr, c’est pas moi qui décide de mes horaires de boulot.  » Sienna répondit sans plus réfléchir à ses mots. « Mais comment je vais faire sans toi ? Je t’aime. » Hippolyte resta quelques secondes sans répondre. Sienna le regardait déterminée. Elle était sûre d’elle, sûre de ses sentiments. Elle n’avait jamais eu autant confiance en elle qu’en ce moment-là. Elle savait que c’était l’homme de sa vie. Ils s’étaient retrouvés comme par hasard dans une ville à la frontière franco-italienne, deux sorciers sortant de Poudlard… ils ne pouvaient pas se quitter comme ça. Et si Sienna croyait bien en quelque chose, c’était au destin.

« Et si je venais avec toi ?  » Sienna lui attrapa la main et l’embrassa tendrement. C’était une proposition, mais son ton était sans appel, elle savait déjà la réponse. Cependant Hippolyte sembla quelque peu déstabilisé par cette demande et ne répondit pas tout de suite, un peu gêné. « Tu veux dire quoi par là ? » « Je finis l’année prochaine mes études. Tu m’aimes non ?  » Sienna leva vers lui des yeux interrogateurs. Il ne pouvait pas l’aimer moins qu’elle l’aimait. « Evidemment. » Répondit-il. Il marqua une pause avant d’ajouter : «Et je ne pourrais pas toujours revenir dans le sud, Mais toi, oui, quand tu finiras tes études, l’année prochaine… effectivement…. » Sienna lui sauta au cou. Là, elle sut qu’elle avait trouvé son nouveau départ.






« Que Merlin aille se faire mettre une baguette dans le trou de balle chez les gobelins... » se grogna-t-elle. «  C’est pour lui, oui LUI que j’ai quitté la France. Il était tellement gentil. Tellement adorable quand on était en France. On dirait que c’est un autre. Et là, Londres l’a complètement transformé. Il est devenu étrange, on dirait un… un psychopathe. J’ai tenté de le supporter. Je vous jure. Je vous jure  que je l’aimais. Merlin, qu’est-ce que je l’aimais !  » J’ai été tellement conne. Ma mère me disait toujours qu’on ne pouvait pas faire confiance aux hommes… J’aurais dû l’écouter.

Sienna se lamentait dans le bar le plus proche sous le regard empli de pitié du barman. Il lui annonça qu’il ne lui servirait plus de boisson, qu’il voulait arrêter avant qu’elle ne devienne saoule. Sienna croisa les bras, le fusilla du regard, contrariée. Elle s’apprêtait à l’insulter lorsqu’une main sur son épaule l’interrompit. « Il vaut mieux que tu saches qui il est maintenant plutôt que quand ça aurait été trop sérieux. » Sienna, qui avait lutté jusqu’à présent contre elle-même, eut l’impression en une fraction de seconde de redevenir une petite fille. Elle ne put retenir un sanglot et se laissa aller sur l’épaule de l’homme qui avait prononcé ces mots. «  C’était déjà trop sérieux. » murmura-t-elle en se serrant dans les bras de cet homme dont elle ne connaissait même pas le nom.

Il la ramena chez lui, sous le regard méfiant de sa sœur, parce qu’elle avait insisté : elle ne voulait pas passer une nuit de plus dans le même appartement qu’Hippolyte, et l’homme ne pouvait pas la laisser dormir dans la rue. Il s’installa dans un matelas tandis qu’elle prit place dans son lit non loin. « J’ai quitté la France sans savoir ce que je ferais. Je ne l’ai jamais su en fait. Je me suis toujours fiée à mes sentiments sans vraiment chercher plus loin. C’est pas… » Sienna se mordit la lèvre. « C’est pas que je n’ai pas d’ambition. C’est juste que je n’ai pas trouvé… d’objectif. Je me sens tellement inutile dans ce monde. J’ai pris les études de médicomagie par défaut, parce que je sais qu’au moins au final on fait quelque chose qui sert. Mais faut croire que je suis destinée à être une larve.  »


Kazhan Strugatsky l’écoutait d’une oreille attentive. Sienna ne se gêna pas pour raconter tous les détails de sa vie. Elle était un peu étourdie par ses quelques verres, et ça avait suffi pour qu’elle lui confie tout. Elle avait quitté le sud de la France sans hésiter par amour. Elle avait patienté un an à Beauxbâtons le temps d’avoir son diplôme et avait commencé des études pour être médicomage à Londres, mais étant loin d’être douée en cours à la base, ça se révéla plus difficile que prévu. D’autant plus que plus le temps passait, plus elle découvrait un autre homme à la place de son compagnon. Hippolyte n’avait plus rien du français galant et romantique qu’elle avait rencontré. Non, il était devenu cynique, détestable, irritable. Infernal. Leur couple était devenu explosif et c’est d’ailleurs principalement pour cette raison que Sienna échoua lamentablement aux examens de fin d’année de l’école de médicomagie… Elle hésitait à présent à reprendre ces études pour lesquelles elle n’avait plus aucun goût.

Lorsqu’Hippolyte se moqua de ses résultats ce fut la goutte qui fit déborder le chaudron. Elle l’avait giflé puis hurlé à la figure que c’était terminé. Mais désormais, elle réalisait pleinement la valeur de ses mots. Elle s’était condamnée à l’errance. Elle était seule, sans famille (sans avoir renoué le contact avec sa famille vivant à Londres), sans appartement, sans argent, sans avenir. Elle ne savait pas où aller, elle se savait même pas si elle aurait les moyens de se payer un appartement seule. «  Viens au ministère.  » Dit Kazhan, la sortant de ses pensées.

Sienna le regarda interloquée et ouvra la bouche sans trouver quoi dire. «  Tu pourrais faire une classe préparatoire à Poudlard, tu seras logée et nourrie. Ta famille est une famille de mangemorts de renommée, ça devra pas bien être difficile. Et puis après, tu pourras avoir un poste sympa au ministère. Et plus encore.  » Sienna, le cerveau en compote, avait du mal à suivre mais elle comprenait vaguement l’idée. «  Je devrais être mangemorte ?  » Dit-elle avec précaution. Kazhan hocha la tête sans dire un mot de plus. Elle médita cette pensée pendant une heure. Une heure de silence pendant laquelle tous les deux tentaient de s’endormir. Kazhan y parvint –elle vint le déranger dans son sommeil en le secouant dès qu’elle prit sa décision : «  Oui ! Je veux travailler là-bas. Je veux être utile. Je veux n’importe quoi, mais un sens à ma vie. Je t’en prie, dis moi ce qu’il faut que je fasse ! » L’implora-t-elle.


Elle n’avait pas su quoi faire.
Ca faisait des années qu’elle était perdue.
Plus le temps passait, plus elle se trouvait misérable.

Il l’avait chassé, elle s’était réfugiée chez sa « meilleure amie ».
Qui était une membre active de l’ordre du Phénix.




«   Je vous condamne à mort pour traitrise, et collaboration avec l’Ordre du Phénix. » Dit la juge d’un ton sans appel.

Sienna qui assistait effarée à la scène, ne put se contenir plus longtemps : «  Je vous en prie !  » Laissa-t-elle échapper en un cri étranglé. L’audience la regarda l’air scandalisée. La juge la dévisagea avec condescendance : «   Sortez mademoiselle, vous n’avez pas votre mot à dire ici. Vous n’êtes qu’une stagiaire. » lui cracha-t-elle. Sienna sentait que son cœur allait arrêter de battre d’une minute à l’autre. «  Mais c’est…  » Elle laissa mourir ses derniers mots sur ses lèvres. Mais c’est ma mère …!

Deux bras énormes s’emparèrent des siens chétifs pour la conduire vers la sortie, tandis que l’on débattait des circonstances de la mort de celle qui lui avait donné la vie.



Le Mangenmagot avait pourtant été une évidence. Quand Kazhan lui avait parlé du Ministère, elle avait fouillé, décortiqué, analysé toutes les formations possibles et imaginables qu’on pouvait lui offrir. Elle avait toujours eu le sens de la justice. Elle pensait que serait un moyen sûr de faire quelque chose d’utile. Les études lui plurent, et c’était à 21 ans que la jeune femme entrait pour la première fois au Ministère de la magie en tant que stagiaire, pour découvrir la réalité du métier. Pourtant, plus les jugements s’enchainaient, plus Sienna prenait conscience que ce n’était pas exactement comment elle se l’était imaginé. Aujourd’hui plus que jamais. Elle se débattait comme elle le pouvait protestait jusqu’à ne plus avoir de voix, mais on ne la laissait pas faire. A court d’idées, elle mordit le bras d’un de ces gros lourds et se retrouva contrainte sous endoloris d’abandonner la lutte, et eut un avertissement.





La foule était assemblée autour d’elle, qui était attachée à un poteau. Elle se sentait tellement vulnérable. Tellement sale. Mais il n’y avait pas de place à la honte ici. Elle se devait de mourir fièrement, pour l’honneur de tous ceux qui avaient été attaché ici avant elle. Pour l’honneur de son ex-compagne qui était passée par là aussi, il y a déjà deux ans. C’était pour elle, qu’elle avait décidé de continuer le combat. C’était pour elle qu’elle mourrait aujourd’hui. Elle regardait avec défi son bourreau. Elle lui souriait. Ses prunelles étaient plantées droit dans les siennes, et elle n’était pas prête de céder. Elle était déterminée à mourir en laissant une image d’une battante. Lui, chargé de mettre feu au bois qui était à ses pieds, sembla incapable de soutenir son regard plus longtemps. Il se tourna, pour discuter avec un collègue. Elle cracha violemment par terre, et embrassa d’un regard furieux l’assemblée. Cette foule semblait jubiler, attendre avec impatience que le feu touche ses pieds. Ils n’avaient aucune gêne à assister à la mort d’une des leurs. D’une des leurs qui se battait pour eux, pour un monde meilleur. Qu’ils aillent tous se faire foutre. C’est alors que ses yeux rencontrèrent ceux de la seule personne qui semblait réellement terrorisée. La seule personne qui semblait avoir un peu de compassion pour elle. De la seule personne qui avait un regard fuyant, un regard mouillé de larmes. De la seule personne qui avait les yeux bouffis pour avoir trop pleuré. Quand cette dernière comprit que Giulia l’avait reconnu, les larmes redoublèrent et elle tenta de se frayer un chemin dans la foule avant qu’on ne la retienne de nouveau pour l’emmener au loin. Giulia ne pouvait pas l’entendre avec le murmure de la foule, mais elle lisait en revanche parfaitement sur ses lèvres son cri déchirant. Mamma ! Mamma ! Ne me laisse pas ! Reviens moi… Maman.

Et malgré tous ses efforts, son visage déterminé se décomposa. Au même rythme que ses derniers espoirs.





Cher Journal,
Elle est morte. Ils l’ont tué. Le Lord l’a tué. Oui, c’est lui et ses sbires à la con qui l’ont tué. Et dire que c’est pour lui que je vais au ministère, et dire que je vais bosser pour lui. Et dire que je vais devoir me faire cette putain de marque pour lui prouver que je suis à ses côtés quand je travaillerais pour de vrai. Mais QU’EST-CE QUE J’EN AI A FOUTRE. Mais rien. J’en ai rien à faire au fond, de lui et de ses idéaux stupides de domination du monde. Il a tué ma mère, merde. Ils n’étaient même pas sûrs des accusations qu’ils lui portent. Comment pourrais-je encore regarder le magenmagot de la même manière ? Je vais devoir lutter. J’ai envie de les gifler un à un, tous. Et cette pute de juge, c’est vraiment la pire de toutes.  

Ma mère faisait partie de l’Ordre du Phénix. Il faut que je sache pourquoi. Il y avait forcément une raison pour qu’ils se rebellent de la sorte non ? Pourquoi est-ce qu’un camp serait mieux qu’un autre ? Pourquoi se ranger du côté de la puissance et pas du peuple ? Je n’arrive plus à trouver de sens à mon futur métier. J’ai envie de tout plaquer et de m’enfuir en courant. Je serais presque prête à rejoindre l’ordre, pour avoir ne serait-ce qu’un semblant de justice… ce n’est pas en restant ici que je me rendrais utile. Je me suis trompée lourdement.




Cette nuit encore Kazhan l’avait accueilli dans ses bras pour qu’elle puisse y pleurer en paix. Ils s’étaient rapprochés considérablement. Il était devenu son plus proche ami. Son meilleur ami, peut-être le seul qu’elle avait au final. Presque tout ce qu’elle écrivait dans son journal, Kazhan le savait aussi. Et plus le temps passait, plus elle l’aimait et plus elle sentait que lui aussi l’aimait bien. Ils partagèrent un baiser, puis une nuit, plus plusieurs. Et c’est irrévocablement que Sienna tomba amoureuse de lui.





Physiquement, Sienna était le portrait craché de sa mère. Elle cultivait avec fierté cette ressemblance depuis des années. Son caractère aussi, bien trempé quoiqu’assez instable était plutôt similaire au sien. En réalisant ça, elle avait peut-être réalisé son rêve d’enfant, finalement.
Sauf qu’elle était décidément destinée à terminer aussi comme elle.

«   Je vous condamne à Azkaban pour une durée indéterminée. »
Ou presque.

L’homme qui tenait son journal intime dans les mains lui souriait d’un air malsain.
Sienna sentit le sol se dérober sous ses pieds.






Sienna n’avait pas pris de douche depuis trois jours. Elle avait quasiment vidé ses provisions et était  court d’eau. Elle ne savait pas où aller. Se débrouiller dans la nature, ça n’avait jamais été son truc. Elle tentait de se frayer un chemin parmi les broussailles, désespérément, se blessant à chaque branche d’arbre de travers, trébuchant à chaque obstacle se trouvant sol. Une chose lui rampa sur le dos et là, Sienna ne put retenir un cri d’horreur : «  AAAAAAH C’EST QUOI CETTE CHOSE ? PAR MERLIN ENLEVEZ-MOI CA !  AU SECOURS ! AAAAAH » hurlait-elle en gigotant dans tous les sens jusqu’à ce que la bestiole tombe de son dos.  «  TA GUEULE. » lui hurla-t-on en retour. Sienna s’immobilisa. Elle scruta les alentours, n’en revenant pas de ce qu’elle venait d’entendre. Il y avait quelqu’un. Trois jours qu’elle n’avait pas entendu un son humain. Elle ne savait pas qui c’était, mais elle avait envie de sauter au cou de cette personne. «  YA QUELQU’UN ?  » Cria-t-elle d’un ton enjoué. « QUI EST LA ? S’IL VOUS PLAIT J’AI BESOIN… » « MAIS PUTAIN TA GUEULE J’AI DIS.  » Sienna fronça les sourcils. On n’avait pas l’habitude de lui parler comme ça, mais bon, maintenant qu’elle devait fuir il était évident qu’elle allait devoir se faire une nouvelle routine. Mais quand même. «  Hey ! T’es qui pour me parler comme ça ? » Elle reprit plus fort «   JE SUIS PAS TON CH-MMMFFT » Une main plaquée sur sa bouche étouffa ses derniers mots.






Cher Journal,
Oui, je t’écris encore. Désolée. Même si c’est ça qui m’a trahi et condamné à cette vie de fugitive, je ne peux pas m’empêcher d’écrire. C’est libérateur. Ça me permet d’évacuer toute cette tension, tout ce stress. Même quand j’ai écrit à Kazhan, j’ai ce besoin-là de coucher mes pensées personnelles sur papier, faire un bilan avec moi-même. Ecrire des choses que je n’avouerais à personne d’autre.

Camélia, Sidney et James. Le premier contact n’a pas été facile, mais au final j’ai intégré leur petite bande, même si tous n’étaient pas forcément enchantés. C’est mieux comme ça… Ils m’aident à survivre alors que je ne n’arriverais pas à grand-chose toute seule. Je les suis, en attendant de savoir quoi faire. Et comme si ça ne suffisait pas, j’ai l’impression de perdre au fur et à mesure le contrôle de moi-même, de ma personnalité. Je ne sais plus qui je suis. Je doute constamment de moi-même, de ce qu’il faut que je fasse. J’ai des regrets par milliers. Je pense énormément au passé, à ma mère. A mon père qui m’a envoyé une lettre quelques semaines avant mon jugement et qui est sur le point de crever, avec tout l’héritage qu’il a et qui pourrait bien me sauver, à mon frère qui a désormais vingt dans et que je n’ai pas vu depuis presque dix ans.

Heureusement qu’il me reste Kazhan. Il est là pour moi. Je lui écris régulièrement en secret, il sait que je suis avec d’autres fugitifs, mais pas plus. Je n’ose pas en parler aux autres, ni vraiment parler des autres à lui. Je sais qu’ils n’accepteraient pas que je garde contact avec lui. C’est un mangemort, après tout.
Mais Kazhan, c’est bien la seule certitude qu’il me reste aujourd’hui.