• Règle numéro un : invisible tu seras.
  
  L’invisibilité c’est l’immortalité. Je l’ai compris très jeune, je l’ai assimilé tout aussi vite pour la simple raison que c’est l’invisibilité qui a sauvé ma sœur, et que c’est l’invisibilité qui m’a sauvé, et que c’est l’invisibilité qui me sauvera toujours. Ce n’est pas n’importe quoi, ce que je raconte. La preuve : le conte des Trois Frères, celui que Mère me lisait parfois le soir.  Lorsqu’on ne te remarque pas, c’est toi qui as le pouvoir. Celui de voir, celui d’apprendre, celui de vivre tout simplement.
  

Anthony Dean Roberson. Trois petits mots : une personne. Anthony s’est toujours demandé ce que ça pouvait bien faire d’être un fantôme sans pouvoir l’expérimenter. Lorsqu’il est né, un 27 novembre glacial, il a vite compris avec ses yeux d’enfant que si un fils était désiré, un Anthony ne l’était pas vraiment. Un héritier, voilà tout ce que voulait son père, Sylvius Roberson. Un héritier, costaud, imposant. Un héritier qui allait hurler son premier cri, qui allait le rendre fier, et qui allait être aussi intelligent que son père. Un bébé braillard, qui geigne plus qu’il ne crie, qui pleure et passe ses journées à baver ou dormir, Sylvius n’en voulait pas pensez vous… Non. Mr Roberson fit clairement comprendre à Lisa Roberson , son héritier ne sera visible que lorsqu’il connaîtra sur le bout des doigts la généalogie des Roberson, illustre famille de sang pur spécialisée dans la conception des scrutoscopes (entendez par la petite famille qui se pensait importante parce qu’il devait y avoir trois pauvres sorciers qui connaissaient son nom dans le fin fond de la campagne irlandaise). Avant cela, Mr Roberson n’avait pas d’héritier. Dommage pour lui, il ne vécut pas assez longtemps pour entendre Anthony lui ânonner la liste de noms et de dates qu’il lui avait permis d’apprendre à lire. L’été qui précéda ses huit ans, Anthony perdit son père dans des circonstances douteuses et migra en Angleterre.

Ce qu’il faut bien comprendre pour voir la logique de cette migration, c’était que Lisa Roberson n’avait qu’une ambition dans sa vie : le pouvoir, l’influence et la vie. Trois mots : une ambition. Certaines personnes se font manipuler, subissent tout simplement, Lisa n’en faisait pas partie : son cas était tout autre. Lorsqu’elle voulait quelque chose, elle était tout simplement prête à tout pour y parvenir : quitte à se faire manipuler, quitte à subir. Lorsqu’elle se maria à un Mangemort, Anthony souhaita de tout cœur qu’elle ne fut pas sa mère. Il souhaita plus que tout que cet homme finisse comme son précédent père. Il souhaita de tout cœur avoir autre chose pour son huitième anniversaire. Mais peine perdue : Julius Dresdn devint par le mariage son beau père.

Anthony, à huit ans, n’était pas un garçon à problème. Poli, attentif, sérieux, discret, il ne se mettait pas dans les pattes des adultes, il ne faisait pas de bêtises, il ne posait pas de problème. Malheureusement, il existait ce qui était déjà trop aux yeux de Julius qui voulait l’endurcir. Déjà qu’il était obligé de récupérer le fils d’un bellâtre d’irlandais qui n’avait même pas eu l’intelligence de prendre la marque, alors si en plus cet héritier s’avérait être une mauviette… Le courant ne passait pas entre Anthony et Julius. Il fallut plusieurs séances d’endurcissement à coup de sortilèges pour qu’Anthony comprenne que la règle numéro un n’était pas un jeu, mais une nécessité. Il était un sorcier, parce qu’il avait déjà fait preuve de magie accidentelle, il était intelligent, parce qu’il apprenait ce qu’on lui demandait sans sourciller, et pourtant ça n’avait pas suffi pour être invisible aux yeux de son beau-père. Si jamais Julius venait à se souvenir de l’existence de May…

• Règle numéro deux : Ta vie et ton âme pour protéger May tu donneras.
  
  On m’a toujours appris à ne penser qu’à deux choses : à la grandeur des sangs purs et à la suprématie du Lord. En observant mes parents, j’ai appris une troisième chose par l’imitation : ne penser qu’à moi. Et pourtant… lorsque le treize avril de l’année de mes cinq ans j’ai pris May dans les bras, j’ai compris que malgré ces trois choses que j’étais en train d’apprendre, quelque chose d’autre allait toutes les supplanter. May. Une petite fleur, une fleur en bouton qu’un souffle de vent pouvait briser. Lorsque les années se sont égrenées, lorsque mon père est mort, lorsque May et moi sommes partis en Angleterre, j’ai compris que si je n’avais pas à penser à autre chose qu’à moi, à la grandeur et au Lord, je n’avais pas à vivre pour quelqu’un d’autre que pour ma sœur.
  

May a peur. C’est la seule chose qu’Anthony voit à cet instant. Elle a peur de cette ombre menaçante, et lui n’a pas le droit de la protéger. En théorie. En pratique, Anthony ne peut pas voir sa petite fleur de sœur avoir peur, et il n’hésite pas à provoquer son beau père d’un mouvement de tête insolent, d’un regard assassin, d’un redressement des épaules, d’une posture faite pour appeler à la réaction. Vois moi, oublie là, semble dire Anthony en se redressant sans un mot. Adieu la règle numéro un : la règle numéro deux prime. A cas exceptionnel, mesure exceptionnelle. May est une honte aux yeux de Julius, plus encore qu’Anthony. Lisa ignore sa fille. Pourtant, May est encore en vie, pour la simple raison qu’Anthony est prêt à donner la sienne et à vendre son âme pour sa sœur. L’ombre menaçante fait demi-tour, appelée autre part. May court vers son frère pour réclamer du réconfort. Normalement, on n’a pas le droit aux marques d’affection, surtout lorsqu’il y a des invités dans la demeure, mais Anthony sait que pour le moment, ce n’est pas l’important. L’invisibilité c’est l’immortalité : lorsqu’on ne nous voit pas, on peut faire ce que l’on veut, ce n’est pas un problème. Anthony recule avec May dans un coin d’ombre qu’il connait bien. Sans lâcher la main de sa sœur, il lui fait monter les escaliers, évitant par réflexe les endroits où le bois craque. Petite fleur, lui dit-il, Reste dans ta chambre petite fleur. Je vais les amnésier, ils ne te verront plus. Un sourire complice se reflète sur les deux visages, et Anthony sort de la chambre de sa sœur. May est une honte pour les Roberson, pour les Dresdn, pour les Mangemorts d’Angleterre. May est une cracmol, une sans-magie. Anthony passe rapidement dans sa chambre pour vérifier sa tenue, et s’assurer qu’il sera invisible. Rien de travers, rien à lui reprocher. Il doit aller les amnésier: leur faire oublier par sa simple présence d’héritier qu’il y a un autre enfant dans cette demeure. Quand May n’existe pas, May est invisible : quand May est invisible, May est immortelle.

• Règle numéro trois : Ce qu’on te demandera d’être tu seras.
  
  Ma mère veut que je la propulse sur le devant de la scène, mon beau-père ne veut pas que je lui fasse honte. Je dois être exemplaire, et pour ça, je suis ce qu’on me demande d’être : parfait. On me demande d’être studieux : je le suis. On me demande de haïr les moldus : je les exècre. On accueille un cousin séparé de force à ses parents : il n’est pas le bienvenu et il ne le sera jamais. Être ce qu’on me demande d’être me permet de respecter la règle numéro un pour conserver exacte la règle numéro deux. Tout s’enchaîne, tout fonctionne : je suis génial.
  

Anthony n’a pas compris ce qu’il s’est passé, mais en l’espace d’un week-end, ils n’ont plus été quatre, mais cinq dans la demeure. Un intrus s’est ajouté, un intrus qui n’a rien à faire là. Anthony le déteste, ce qui est bien normal : cet Adrian n’est qu’un problème de plus. Il ne comprend pas ce qu’est la discrétion, il ne connait pas les règles de survie, il ne sait pas qu’il n’est pas le bienvenu. Anthony le déteste parce qu’il n’aime pas le changement. Il n’aime pas qu’on le force à cohabiter avec un être en plus, il n’aime pas qu’on le force à fréquenter un autre de son âge. Oui, on peut le dire, Anthony est un solitaire, un misanthrope. Un peu hautain, un peu méprisant. Aussi étrange que cela puisse paraître, il a été élevé comme un héritier, comme un fils unique, comme un diamant que l’on taille, de force, pour qu’il ne se ternisse pas et qu’il ne fasse pas honte. Il est conscient de ce qu’il est, il est aussi conscient de ce que la venue d’un intrus implique. Onze ans. Voilà leur âge à tous les deux. Anthony en aura bientôt douze, et il les fêtera à Poudlard. L’autre a onze ans aussi. Ils iront dans le château, loin de May, loin de la demeure. Sept ans sans quitter la Prison. Anthony a peur de ce qu’il risque de se passer lorsqu’il sera loin de May, et pire que tout, l’autre a tout gâché : il ne pourra pas passer un dernier vrai été avec sa sœur. A cause d’Adrian, Anthony est bien capable d’enfreindre volontairement la règle numéro un. Il le déteste par ce qu’il existe. Et qu’il ne sait pas être invisible. Oh, très certainement, Anthony est trop individualiste aussi pour accepter quelqu’un d’autre dans son cercle. S’il offre toujours un sourire à May, il réserve ses plus beaux regards assassins à l’intrus. Dégage, dégage, dégage, semblent dire ses yeux gris. Dégage loin, loin d’ici. Barre toi, barre toi loin. Dégage, chantonne son air grave et meurtrier lorsqu’il croise Adrian dans les couloirs de la demeure.

Pendant ce dernier été avant Poudlard, Anthony fait enfin la fierté de son beau-père. Il inonde d’arrogance l’intrus, il ne fait pas un faux pas, sourit quand il le faut, ne mentionne nullement l’existence de May devant Julius, connait les vraies familles sorcières sur le bout des doigts. Lorsqu’il va sur le chemin de traverse pour faire ses achats, son regard plein de dédain et son rictus méprisant sont les copies conforment de ceux de son beau-père qui lui broie l’épaule pour lui rappeler où est sa place. Avant de partir vers Poudlard, Julius lui susurre à l’oreille tout en appuyant sur un nœud nerveux pour provoquer une douleur atroce: fais honneur à ton nom, ou meurs. Fais honneur à ton nom, ou elle meurt.

• Règle numéro quatre : Ton intérêt à Poudlard prioritaire tu rendras.
  
  Quel est mon intérêt à Poudlard ? Être invisible, être irréprochable, être parfait. Lorsqu’on a comme cousin un Gryffondor, c’est beaucoup plus difficile. Lorsqu’on a comme cousin un Adrian, ça relève de la mission impossible, et pourtant je m’y attelle. Je suis aussi obstiné que pouvait l’être mon beau-père lorsqu’il s’était mis en tête de m’endurcir. Le résultat n’avait pas forcément été là – il avait du me faire chanter en mettant ma sœur dans la balance – mais l’idée y était. Être parfait, être irréprochable. Je n’ai plus qu'un an à trimer à Poudlard. Je n’ai pas fait de faux pas mais le plus dur est encore devant moi.
  

Poudlard. Le Bagne, la Prison, le no-May’s-land. Lorsqu’Anthony y a mis les pieds pour la première fois, il ne pensait qu’à ça. Son beau-père n’était pas un mangemort influent, sa sœur était une cracmol : il allait devoir frayer avec la seule personne qu’il supportait dans ce bas monde en dehors de May pendant sept longues années : lui-même. Anthony n’est pas arrogant, non : il est juste le résultat de son éducation. Lorsqu’il est entré à Poudlard, il avait déjà un physique en total accord avec son mental : discret. Ses cheveux coupés relativement courts, son visage anodin, ses yeux gris clairs, Anthony n’avait rien de marquant ou de particulier, et c’est toujours le cas six ans après. Loin d’avoir une carrure d’athlète – il a toujours été bien au contraire assez fragile de constitution – sa petite taille, son air mutin, et son habileté à passer inaperçu, sauf quand son crétin de pseudo cousin est dans les parages – sont au contraire sa force. Il ne sert à rien d’avoir des muscles si on ignore comme s’en servir, et de toute manière Anthony sait que la violence physique n’a strictement aucune utilité lorsqu’on est un sorcier. Lancer un doloris n’a jamais demandé de savoir soulever des kilos de fonte, non ? En cours, dans sa salle commune, son caractère s’est vite dessiné auprès des autres élèves. Anthony n’est pas vraiment un méchant garçon. Pas vraiment parce que lorsqu’on lui a manqué de respect, lorsqu’on l’a provoqué, lorsqu’on a marché sur ses plates-bandes, il ne dit peut être pas grand-chose mais il est rancunier. Extrêmement rancunier. Raison pour laquelle il n’a jamais manqué d’enfreindre la règle numéro une en présence de son cousin.

Rancunier donc, qui peut le pousser à la méchanceté la plus sournoise. Hypocrite, aussi, le plus souvent. Mesquin. Mais aussi poli à outrance, sérieux au plus haut point, travailleur, maniaque et consciencieux. Toute une tripotée d’adjectifs qui se résume en un seul : parfait. Du moins, c’est ce qu’il voit. Il est parfait. Doué en magie, obéissant, pas trop cruel, pas trop sadique, mais absolument pas romantique ou bisounours. Il ne faut pas pousser non plus.