Tu te ressers un autre verre. Ton assassine tremble légèrement et quelques gouttes se déversent sur le comptoir. T’y peux rien, à vrai dire. C’est automatique, à peine vide tu sens une force inconnue te pousser à le remplir de nouveau.  Cette mixture écœurante couleur ambre te donne la nausée, mais entre être et paraître, il y a une énorme différence. La serveuse en face de toi semble te jeter un regard du style « va s’y mollo, j’ai pas envie de t’appeler un taxi ». Mais tu t’en fiches, tu n’es pas seul ce soir. Dans ton groupe, vous êtres cinq Toi, Anja, Zoltan ton junky de meilleure ami, Demitri et Honor ta jumelle. Tu sens justement sur ta nuque son regard critique, elle n'aime pas te voir dans cet état. Elle est ton exact opposée, toujours plus mature, toujours plus prudente. Tu sais qu’elle va te faire la morale, alors tu soupires en sachant que l’alcool va te rendre agressif et que tu vas forcément t’emporter.

« Andro’ limite toi s’teplait, il pèle dehors et j’ai pas envie de te porter sur mon dos ».

Tu tiques sur ce surnom que tu détestes, mais ne répond pas. Zoltan n’a pas l’air en meilleur état que toi, si ce n’est qu’il plane et que tu es ivre alors vous échangez un regard complice. Le liquide tangue dans ton verre avant que tu ne le finisses d’une traite et te lèves. Plus loin, tu observes Demitri admirer silencieusement une Anja qui échange un clin d’œil avec un inconnu attablé quelques mètres plus loin. Elle est magnifique ce soir, avec ses grands yeux bleus cernés de noir et ses cheveux noir de jais. D’ailleurs, il ne t’a jamais semblé avoir vu de slave plus jolie. T’aimerai quelque fois lui ouvrir les yeux en lui disant qu’Anja n’est pas faite pour lui, et qu’elle ne cessera jamais d’aller voir ailleurs. Mais entre eux, c’est un véritable jeu. Quand l’un cours l’autre fuit, ça a toujours été comme ça. Le seul hic c’est qu’Honor apprécie Demitri. Un vrai triangle amoureux. Ta sœur est en tout point différente d’Anja. Cheveux couleur de miel, un look entre le BCBG et le rock, qui laisserait toute fashionista qui se doit admirative et envieuse. Tu admires quelques instants le motif de deux huit entrelacés qui barre à présent la peau de sa nuque, tatouage qu’elle s’est fait le jour de son seizième anniversaire. « Double infini » t’a-t-elle dit qu’il signifiait. Pour vous, parce les sentiments qu’elle te porte sont plus grands eux-mêmes que l’infini. Votre lien a toujours été particulier, et cela te fait sourire. Une fille s’approche de votre table, dans ce pub ou tu te réunis avec tes amis lorsque Durmstrang vous autorise des sorties. Elle est plus jeune et a la mine inquiète, mais son visage t’est familier.

« A qui tu parles ? Pourquoi restes-tu seul comme ça, Andromak ? »
« Seul ? Non, regarde, Honor, Zoltan, Anja ils sont là. »
« … Non. Ils ne sont plus là... S'il te plait, admet-le. »

Tu es né dans la ville lumière en 2005, la belle Paris, quelques minutes après Honorine même si entre vous, ça n’a jamais eu la moindre importance. Tes parents venaient tous deux de familles de sang pur, mais depuis de nombreuses générations, le gêne magique semblait s’être altéré, si bien que les trois-quarts des enfants nouveau-nés naissaient cracmols. Honorine et toi étiez l’exception à la règle, à la surprise générale. C’est certainement à cause de cette caractéristique si propre à ta famille que tes parents ont décidé de migré dans le nord de la Russie, fuyant les critiques des « véritables » sorciers, pour se fondre dans le monde moldu. Ce nouveau mode de vie t’apporta son lot de consolation : cigarettes, rock'n'roll et drogues rythmaient tes vacances d'été.  Tu assumais très bien le statut de traitre à leur sang de tes parents. Tu te fichais de l'avis de tous ces connards, t’avais simplement décidé de devenir quelqu'un, et sans passer ton temps à devoir supporter le regard méprisant des autres ou à devoir prouver quoique ce soit. Durmstrang n’y changea pas grand-chose, sinon que tu y fis une entrée remarquée avec ta sœur, et que vous y développiez votre côté sombre d’année en année. Seulement, la perfection  n’est pas faite pour durer. C’est justement trop parfait, et on dit souvent que ce sont les défauts qui font de la vie, une réalité palpable. C’était il y a deux ans à présent. Deux années que la lumière c’est éteinte chez toi, que ta… non que vos vies ont basculées. Deux années, que l’on entend plus ta mère jouer du piano, ni ton père fumer sa pipe en lisant le journal. Deux années également, que vous ne prenez plus vos déjeuners ensemble, tant cela vous rappelle le manque que procure cette chaise vide, attablée. Honorine. Tu nous as quitté trop tôt.



Tu pleures, tu plonges, tu te noies dans un océan sombre. Tu es un mec, et alors ? Est-ce que ça veut dire qu’il faut toujours paraître fort ? La pluie tambourine contre les carreaux de ta chambre. La pluie peut parfois effacer les erreurs, les laver comme on lave les soupçons. Parfois seulement. Trois jours que tu dors, trois jours que tu es anesthésié. Trois jours que les heures défilent, nuit et jours sans que tu ne t’en rendes compte. Enfermé dans ta déprime, enfermé dans ton monde. Personne ne peut imaginer comme ça fait mal, et si les gens disent qu'ils compatissent, ce ne sont que des mensonges. Que peuvent-ils y comprendre ? Tu as perdu ton double, le seul être au monde parfaitement identique à toi. Ton palpitant saigne, tu n’as qu’une envie : rejoindre les limbes pour de bon et t’assimiler à elles. Tu as l'impression que tu ne sortiras plus jamais de cette pièce, incapable de retourner en cours et d'affronter le regard de tous les connards qui auront la fausse gentillesse de te souhaiter leur condoléance. Tu cherches comme toujours tes écouteurs pour les enfoncer dans tes oreilles et te couper de cet univers, plonger dans le tien tête baissée. Tu te laisses envahir par la musique, par les songes, par le mensonge, et pour la première fois l'envie te vient. Tu attrapes d'une main les cochonneries que Zoltan laisse toujours tainer chez toi, trace comme tu l'as vu faire tant de fois une ligne blanche, et l’inhale sans cérémonie. Si Honor te laissait boire, elle avait toujours été contre les substances toxiques de ce genre, et par respect pour elle tu t'étais toujours gardé d'y toucher. Mais, tu n’as que seize ans, merde. Tu veux qu’on te laisse tranquille. Tu veux juste faire taire cette souffrance abominable. Il ne te faut que quelques minutes pour La voir apparaitre. Elle est là. Encore. Tu sais qu’elle n’est pas partie. Elle ne te laissera jamais tout seul.

« Andro’ tu ne manges pas ? »
« Pas maintenant, Honor. »

Tu jettes par terre le billet enroulé qui t’a servi à tracer ton rail. Les gens dehors te croient fou. C'est faux. Ta mère t'a envoyé chez un de ces psychiatres moldu. Tu crains qu'elle ne décide finalement de s’adresser aux Médicomages pour qu’ils ne te jettent un sort d'amnésie. Tu ne veux pas, elle est encore là. Bercé par la musique, ta sœur vient s'assoir entre tes genoux. L’odeur de ses cheveux vient chatouiller tes sens, tandis que ses doigts viennent s’entrelacer aux tiens.

« Il va bien falloir que tu m'oublie un jour, tu sais... »

Tu augmentes le volume. Ce n’est pas ce que tu as envie d’entendre. Elle devrait être comme tu voudrais qu’elle soit, après tout, parce qu’au fond de toi, tu sais que ce n’est pas vraiment elle. Tu songes et fini par tomber dans les bras de Morphée.


« Surtout, soyez prudent sur la route ! » te lance ta mère du pas de la porte d’entrée de votre résidence d’été, tandis tu montes dans la voiture décapotable que vous avez louée pour partir en vacance entre amis. Anja, Zoltan, ton père et Honor y sont déjà installés, et te crient dessus pour que tu te dépêches. Tu balances ton sac sur ta sœur, et enjambe la portière d’un saut, tandis que ton géniteur démarre dans un vrombissement du moteur. Depuis que tu es entré à Durmstrang, il n’y a pas un été que tu n’as pas passé sans tes amis et tu quittes avec plaisir les plaines froides du grand Nord pour retrouver le soleil des côtes françaises. Toujours à quatre pour faire des conneries, qu’importe le lieu, ton père se contentait d'apporter l'autorité et la sécurité lors de vos excursions. Tu étais loin de t’imaginer que ce qui s’annonçait comme le prélude de moments joyeux allait se transformer en descente aux Enfers. Alors que dans les rires, Zoltan se vante de la qualité de l’herbe qu’il a acheté avant le départ, devant le regard dépité mais amusé de ton père, plusieurs klaxons retentissent. Dehors, la pluie tambourine les carreaux depuis plusieurs kilomètres, laissant une visibilité critique.  Les bouchons ont le don d'énerver ton géniteur, qui tente vainement de se détendre en changeant constamment de chaine d'autoradio, devant le regard toujours aussi émerveillé d'Anja, impressionnée par les engins moldus. Soudain, dans un crissement suraigu de pneu et de taule froissée, une voiture semblant perdre le contrôle de sa direction, glisse à pleine vitesse dans l'eau boueuse et s'encastre dans la votre. La violence du choc te rend sourd. Tandis que tu vois Honor s’empaler contre la portière alors que ton nom meurt sur ses lèvres, tu sombres peu à peu dans l’inconscient.

Le sempiternel et agaçant ‘bip’ résonne à tes oreilles. Tu es engourdi, anesthésié, ne comprenant pas ce que tu fais là. Tu entends quelqu’un pleurer non loin de toi, mais tu es incapable de bouger, tant ton corps te semble lourd et ankylosé. Il ne te faut que quelques secondes pour te remémorer l’impact, et surtout le visage effrayé de ta jumelle. Tu tentes de te lever, mais l’infirmière te fait clairement comprendre que tu n’iras nul part, après t'être réveillé d'un coma de plusieurs semaines. Il ne t’en faut pas plus, lorsque tu aperçois le visage crispé et fatigué de ta mère pour comprendre. Ton géniteur quant à lui est assis plus loin, se tenant la tête entre les mains. Il porte une échappe autour du bras, et quelques contusions sillonnent encore la peau de son visage. Il te fixe, pourtant son regard est éteint lorsqu'il comprend que tu t'es réveillé. Parfois, il n’y a aucun mot assez fort pour exprimer une situation. Alors, le silence est préférable pour ne rien briser de plus. Finalement, le silence est devenu votre seul mode de communication.


Tu te réveilles en sursaut. Tu sens la morsure du froid sur ta peau la couverture étant à tes pieds. Les cheveux ébouriffés, le souffle court, ce souvenir te hante.  Alors, tu te lèves et va t’asperger le visage d’eau pour te redonner un peu de contenance. Ton reflet te renvoi l’image d’un garçon fatigué et sombre. Tu sais que la drogue y est pour beaucoup, mais à dire vrai, tu te tapes pas mal des ravages qu’elle peut avoir sur toi, tant qu’elle te permet de voir ta sœur. Tu préfères le néant au chagrin, la drogue étant la plus anesthésiante, elle te parait la solution la plus radicale mais adaptée.Il ne reste plus aucun stigmate de l’accident sur ta peau.  Sauf cette cicatrice barrant ta joue qui te rappelle chaque matin qu’Honor ne fait plus parti de ton monde, la violence du choc.
« Tu es plus beau comme ça », te souffle ta jumelle adossée au mur. Une année plus tard tu as grandi, mais elle n’a pas changé et te fixe toujours avec ce sourire à la fois triste et bienveillant. Sa voix t’apaise toujours autant. « Tu es prêt ? » fait-elle en allant s’assoir sur tes valises. Tu te remémores le jour ou des Mangemorts sont venus te chercher pour t’amener à Poudlard, après que tes géniteurs soient passés par toutes les procédures inimaginables pour que tu poursuives tes études. Il t’était impossible de retourner à Durmstrang pour commencer ta sixième année en sachant que tu verrais le souvenir de ta jumelle ancré dans chacun de ses recoins. Poudlard t’avait semblé un havre de paix retrouvé, et tu venais de le quitter quelques jours exceptionnellement à cause d’une de tes crises. Tu dissimules soigneusement tes derniers paquets de poudre avant de descendre les escaliers. Ta mère qui est au téléphone, ne fait pas attention à toi. En écoutant la conversation tu te rends compte qu’elle parle avec ton nouveau médecin, le dernier en date ayant lâché ton cas.

« Non, depuis l’accident il semble ne pas vouloir entrer en contact avec nous, pourtant à l’école, ça se passe plutôt bien. Bien, je vois. Vous dites qu’il s’est inventé une sorte d'ami fictif qui reprend le physique et la personnalité de sa sœur quand il prend certaines substances… ? Est ce grave ? Mmh, oui, oui, je comprends. Faut-il que je l’envoie en cure alors ? C'est à lui de se libérer d'elle ? Vos paroles sont dures monsieur, il va avoir tout juste dix-sept ans. Mmh, tout à fait. Son accident ? C'est... Difficile à raconter, même pour moi. Vous comprenez, il est… Comment dire, dans une 'école' ou il passe en 6ème année, je pense qu'à la rentrée prochaine, il pourrait enfin se rendre compte de son absence. Ça ne sera pas trop brutal, n'est-ce pas ? Bien, très bien. Au revoir et merci pour tout. »

Honor est à côté de toi. Un pli soucieux barre son front lorsqu’elle voit votre mère prendre sa tête entre ses mains. « Il faut que tu me laisses partir ». Te souffle-elle, tandis que tu te retournes vers elle, lasse mais sincère. « J’peux pas ». Elle s’approche de toi et te prend la main.

« Il le faut. Regarde autour de toi, tu fais souffrir tout le monde Andro. »
« Si je te laisse partir, tu ne reviendras plus ».
« Qui sait ».

« Ce que ma mère ignorait, c'était que toute ma sixième année se passa comme pendant les grandes vacances. Je prenais de plus en plus de doses, parce que j’avais l’impression que ma sœur m’échappait toujours. Je voulais qu'elle soit avec moi à chaque instant. Je m'étais créé une intimité où personne ne pouvait pénétrer. Sourire triste ou larme de joie, les gens sont si compliqués. Je pensais aller bien, car elle était toujours là, mais au fond de moi, toute ma vie était chamboulée, ce que je ne pouvais pas avouer. Aujourd'hui j'ai dix-huit ans, il m'a fallut presque une année de plus et une énorme gifle en plein figure par mon Médicomage pour que je remonte à la moyenne et que j'me stabilise. Maintenant, ça va. Je passe de justesse en année préparatoire mais, je sais que ça ira, on compte sur moi.   »
« Je … Andromak, pourquoi me racontes tu tout ça ? »

Tu ne t’occupes pas de la fille qui t’écoute raconter ton histoire depuis plus d’une heure déjà. Tu regardes ta jumelle attendrie plus loin qui te fait un signe de main. Tu sais qu’elle s’en va. Mais tu sais aussi que tu la reverras bientôt. Finalement, tu as réussi à trouver ton rythme, entre tes cours, tes prises de poudre et ta sœur, même si cela peut sembler étrange. Tu n’es plus le gros toxico que tu étais parce que tu es aidé par quelqu'un de compétent qui t'a fait comprendre que tu comptais pour les gens autour de toi. Tu arrives à limiter tes doses aux soirées que tu fais dans le Château. Peut-être as tu finalement trouvé cet équilibre en changeant ta haine de cible. Tu as gardé une aversion totale pour les moldus, au point qu'il t'est même difficile de rentrer chez toi, ou de considérer tes propres parents qui malgré l'accident ont continué dans ce drôle mais scandaleux mode de vie. Dans quelques mois, tu referas un septième année, celle-ci sera bien différente des deux précédentes. Et dire que tu menais une vie banale avant ta cinquième année... La jeune fille ne sait où se mettre, elle semble à la fois heureuse que l'inaccessible Andromak Kingsley que toutes les jeunes filles idéalisent se confit, mais aussi extrêmement mal à l'aise par cette sincérité. Tu te lèves soudain le cœur plus léger. Tu sais que les choses seront différentes à présent, qu'il y aura de nouvelles épreuves, mais que tu arriveras à accepter totalement la perte de ta sœur.