vis ma vie
Elle.
L’étrangère. La sauvage, l’inapprochable, celle qu’on ne connait pas. Elle vient tel un souffle mettre le doute dans un cœur, dans un esprit, la louve indomptable, et repart entre deux battements de cils, laissant sa marque, indescriptible, mais imprégnée pour toujours dans la chaire. Au détour d’un couloir, on l’aperçoit, le regard indéchiffrable et brûlant, puis elle disparaît aussitôt, dissipée dans la brume du soir qui l’enveloppe. On voudrait l’approcher, la connaître, la détailler, mais distante, Brünhild ne laisse nul avoir le loisir de la saisir, c’est son jeu, pas le leur. À elle revient le choix du moment où elle approche les autres, pas l’inverse, au grand jamais. La belle les effleure, les agaces, les laisses croire qu’ils l’ont prise dans leur filet, puis elle s’éclipse aussi rapidement qu’elle est venue. Personne ne sait véritablement qui elle est, ce n’est pas cause de mensonge, non, c’est qu’elle ne s’ouvre pas. Telle une huître obstinée, Eglantine reste fermée sur elle-même, protectrice de son être, de son cœur. Elle vient d’ailleurs d’une contrée lointaine, dont ses yeux seuls se souviennent et s’ennuient de ce paysage maternel qui l’a vu naître. L’Allemagne, sa belle Allemagne. Ses racines, les plus profondes, y sont encrées, c’est sa maison, son chez toi, sa patrie. Un jour elle y retournera, mais pas aujourd’hui, pas maintenant, il y a encore tant à faire en Angleterre, tant à apprendre, elle n’a pas poussé son corps jusqu’au bout ici, pas tenter tout ce qui avait à tenter.
Enfant de la violence, c’est tout ce qui l’attire, tout ce qui l’anime. Même la force la plus silencieuse, elle sait la dénicher chez quelqu’un, la faire sortir tout comme la faire taire avec une grande adresse. C’est son goût du danger, si la demoiselle ne décèle rien, pas même l’ombre de la férocité, elle s’en désintéresse. Même en elle gronde une force muette, un crépitement sourd qui transparaît dans sa course contre l’adrénaline. Elle n’a pas froid aux yeux, la peur elle la combat la tête haute sans plier l’échine. C’est ce qui lui donne vie, fait pétiller son regard et courber ses lèvres en un sourire. Le sourire, si dur à lui arracher, son esprit terre à terre et désillusionné la protège de l’humour et des maladresses. Enveloppe froissée par la vie. Elle est pourtant emplie de douceur, même si elle ne l’a jamais réellement connue, elle la projette. Ce n’est pas en elle que la violence hurle, mais en les autres et elle la recherche. En elle brûle un feu ardent qui tire sa vitalité de l’énergie d’autrui, mais pour la comprendre, il faut connaître son histoire et même si nul ne l’a jamais entendu, elle est écrite et progresse de jour en jour.
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C’était un soir d’hiver, le ciel faisait tomber sa tempête sur Hambourg. Une pluie battante frappait la fenêtre de l’hôpital sorcier de la ville portière. Dans une chambre privée, une femme était sur le point d’accoucher, entourée des médicomages les plus compétents de l’établissement, rien de moins pour l’enfant Glodschmidt qui allait bientôt naître, cadet d’une fratrie de deux, le père et le fils patientant à l’extérieur dans le couloir en attente du nouveau-né. La naissance se fit dans le plus grand des silences, sa voix ne laissant échapper aucun cri, pas même un murmure avertissant de son arrivée. Elle n’était pas muette pourtant et en bonne santé. Mais le silence semblait déjà murer sa vie dès lors. La demoiselle prit d’ailleurs du temps à dire ses premiers mots, mais apprit bien vite comment marcher et courir. Son frère ne l’entendit pas parlé avant bien longtemps, car l’automne suivant la naissance de Brünhild, il partit étudier à Poudlard. Certes, il aurait pu être envoyé à Drumstrang, mais ses parents avaient préféré l’éducation qu’offrait l’école de magie en Écosse. Ainsi, la petite grandit dans l’immense demeure au bord de l’eau dans un cocon familiale aussi beau de l’extérieur qu’il était instable de l’intérieur. Son aîné avait quitté l’enfer d’une famille éclatée pour rejoindre un enfer différent, mais où il aurait le contrôle, en laissant sans le moindre regard en arrière sa jeune sœur qui ne savait encore rien à la vie.
Qu’elle se débrouille comme il l’avait fait depuis onze années. La jeune fille prit en âge dans un milieu où la violence était omniprésente, mais qui n’était jamais dirigée directement contre elle. Son père et sa mère se faisait la guerre, faisant de leur maison un véritable champ de bataille entre leur travail respectif et l’éducation de leur petite dernière. Brünhild était une belle enfant qui attirait les regards et l’admiration. Bien élevée comme une dame de la bourgeoisie, sa famille étant une des plus réputée en Allemagne et des plus riches chez les sorciers, elle se devait de bien savoir se tenir. L’enfant de sang-pur, on ne l’intéressa guère cependant au cas des moldus ou des nés-moldus, la faisant focaliser davantage sur son avenir de sorcière que sur le sort de ces autres. Les moldus sont sans pouvoir et manquent cruellement de perception, alors pourquoi s’en soucier ? Ils n’ont jamais été un problème dans leur société, facilement manipulables. Tant qu’à ceux qu’on appelle sang-de-bourbe, Eglantine les laisse vaquer à leurs occupations, ce qu’ils font ne l’intéresse guère en toute franchise. Tout comme son frère, elle était destinée à aller étudier à Poudlard. Bien évidemment, on lui apprit l’anglais pour qu’elle puisse le parler parfaitement et sans le moindre accent avant son arrivée à l’école de magie. À travers son enfance, elle apprit à gérer la violence autour d’elle, à l’apprécier, à la chercher, à savoir l’apaiser tout comme à la provoquer. Lorsque ses parents étaient absents, la petite rousse allait jouer au bord de l’eau, dans les courants forts où elle nageait près de la rive, disparaissant parfois sous une vague plus forte. Elle fit de nombreuses fois faire des crises cardiaques à son elfe de maison lorsqu’il croyait que l’eau l’avait emporté, mais chaque fois elle remontait en riant et en recrachant une bonne gorgée d’eau de mer. C’était son enfant, elle était téméraire et elle aimait ça.
Et finalement vint Poudlard. Un nouveau monde, une nouvelle maison. Elle redécouvrit la vie d’un nouvel œil, mais toujours sous le regard de la violence qui une fois de plus n’était pas dirigée sur elle directement, mais sur les autres, sur ceux qui refusaient d’obéir et qui s’écartaient de la voie à prendre. Elle était la fille tranquille, qui ne demandait jamais rien à personne et qui se contentait de faire ce qu’on lui demandait, sans trop s’investir dans ses études, sans pour autant négliger ses notes qui se devaient d'être parfaites aux yeux de ses parents, mais sans trop attirer l’attention sur elle de mauvaise manière qui soit. La vie était loin d’être rose ou de se bâtir sur des rêves. Pourtant, elle en intriguait plusieurs avec son caractère sauvage et inaccessible. Lentement, Brünhild tâtait le terrain, découvrant peu à peu des gens qui l’intéressait, des caractères susceptibles de lui plaire et chez qui elle retrouvait l’adrénaline qu’elle cherchait tant. Puis, deux personnes firent une entrée dans sa vie. Jochem, son frère, et
Odin.
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«C’est quoi ta couleur favorite ? » « Le jaune. » Elle.
L’étrangère de son sang. Il avait beau lui poser milles questions, cette impression le tenait qu’il ne la connaissait pas et c’était le cas. Brünhild, sa petite sœur, sa détestable petite sœur. Jochem ne devait s’en prendre qu’à lui-même, pourtant il ne pouvait s’empêcher d’avoir sa gorge qui se serrait à sa vue si sereine, si calme, si paisible, tout ce qu’il n’était pas.
Jalousie Eglantine l’avait perçu dès l’instant où elle avait posé les yeux sur lui. Elle avait l’œil pour déceler la nature profonde qui bouillait en quelqu’un et qui ne demandait qu’à sortir. Ce danger qu’elle avait perçu en lui, la cadette jouait avec le feu, elle voulait le voir devenir plus grand, plus fort. Ça crevait les yeux qu’il était jaloux, jaloux de croire qu’elle avait eu la vie facile en son absence, jaloux de croire qu’elle n’avait pas connu la violence, qu’on n’avait pas tenté de la briser, qu’elle était tranquille, que sa douceur avait raison d’être, car on le lui avait montré, mais il avait tort, terriblement tort. Mais Brünhild s’en fichait, elle ne le connaissait pas plus, le frère absent, parti à Poudlard alors qu’elle n’avait que quelques mois, en quittant l’école il n’était pas revenu en Allemagne voir sa famille, pour la voir elle, sa petite sœur qu’il n’avait pas vu depuis huit longues années. Non, Jochem s’en fichait, il prétendait sa bonté, tentait de s’approcher d’elle pour une raison qu’elle ignorait encore, mais il échouerait. Maintenant qu’elle était à Poudlard, loin des yeux de leurs parents, à la merci des mangemorts, de cette éducation à la dure, maintenant qu’il était surveillant, il revenait à elle, tout bonnement, alors qu’elle ne connaissait pas son visage, ne savait rien sur lui, tout comme son frère ne savait rien sur elle. Qu’il aille mentir à quelqu’un d’autre,
mais pas à elle. Assis tous deux sous un arbre du parc de l’école de magie, le regard de la jeune fille restait obstinément rivé devant elle, sans déroger, se refusant à se poser sur son ainé. Chaque fois qu’il tentait de faire une approche, de la toucher, elle s’écartait, mettait plus de distance entre eux deux. Ils n’avaient rien à se dire et elle ne comprenait pas son entêtement à vouloir la connaître maintenant, pourquoi maintenant et pas avant, quand il en aurait véritablement eu l’occasion ?
«Le sport que tu préfères ? » Silence. Eglantine ne répondit pas, ce qui eut le don de le mettre en colère, elle titillait sa violence, le faisait exprès. Les doigts de Jochem s’étaient resserrés contre sa baguette, prêt à la lever contre une gamine de treize ans. À cet instant, elle avait enfin daignée se retourner. La jeune fille souriait, du bout des lèvres, mais elle souriait, lui tenait délibérément tête. Oserait-il le faire ? En serait-il véritablement capable ? Le bras de son frère s’abaissa, non, il n’allait pas s’abattre à ça.
« Lâche. » articula-t-elle lentement, ce sourire provocateur au coin des lèvres. Un instant la colère le submergea et la pointe de sa baguette s’enfonça dans le coup fragile de sa cadette. Elle le regardait droit dans les yeux sans même frémir.
Courage ou stupidité ? Il ne saurait dire. L’ainé reprit contrôle, il n’allait pas lui donner ce qu’elle voulait, c’aurait été puéril, d’autant plus qu’elle le faisait exprès. La douleur ne semblait pas l’effrayer. D’où pouvait-elle tenir cela ? Il la relâcha brusquement et repartit, la laissant seule à l’ombre de l’arbre, le collet de sa robe un peu froissé. Jochem la ferait bien plier un jour.
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Odin Raphaël Kensington. Serdaigle. Troisième année. Treize ans. Une violence sourde brûlait en lui, sans l’avoir même approcher, elle le savait. C’était ça, à prime abord, qui l’avait poussé vers ce garçon de son âge. Lui ne savait rien sur elle, pas même son nom, ni qui elle était, d’où elle venait et pourquoi Brünhild savait si bien poser un baume sur son cœur. Inconsciemment, le jeune homme l’attirait, comme un besoin brûlant de découvrir ce qui se cachait en lui, malgré sa réticence. C’était la première fois quelqu’un osait la repousser, ce qui l’encourageait à revenir à la charge chaque fois, ne pas lâcher prise. La sorcière était parvenue à le toucher, effleurer sa violence jusqu’à la faire taire. Elle n’avait pas peur, ne craignait rien lorsqu’elle plongeait dans l’abysse de ses pupilles. Eglantine lui faisait
confiance. La demoiselle l’attirait par ses sourires en coin, mystérieuse, sauvage, tournant autour de son ombre, y dansant impunément. Elle ne tombait pas dans le piège, pas comme les autres, mais ne le laissait pas trop approcher pour autant. Les liens qu’ils entretiennent ne se résument qu’à quelques rencontres au tournant des couloirs, mais il y a lieu à plus, la demoiselle le sait. Elle l’observe de loin, le détaillant, apprenant à le connaître à travers l’observation, alors que lui vogue dans le néant à son sujet. Un jour viendra où il saura peut-être, mais, pour l’heure, cette distance lui convient. Brünhild aime ce jeu et compte bien y jouer jusqu’au bout.