Les journées d’Andréas étaient toujours toutes les mêmes, enfermé dans le local qui servait de repères au Phénix. Ils avaient le droit de sortir, mais ce n’était plus aussi amusant qu’avant. La guerre était proche, cela se voyait et cela se sentait dans les airs. Le jeune homme avait réussi  à s’occuper des courriers, parce qu’il adorait cela. Créer des codes et les déchiffrer, inventer des jeux de mots pour traduire ce qu’ils vivent sans se faire comprendre par des éventuels traîtres. Ou pire, des mangemorts qui surveillent le courrier. Avec aisance, Andréa s’assoit à son bureau de fortune et sort le papier. Il sait ce qu’il a à annoncer et il sait à qui, mais il ne sait pas comment le tourner. Il se prend la tête entre les mains et sourit. Il va faire passer ça sous une lettre d’amour. Il a déjà parlé avec cette mystérieuse jeune femme plusieurs fois, mais ils ne se connaissaient pas, ni photo, ni dessin. Ni même le vrai nom en réalité. Il savait grosso modo la direction que devait prendre le hibou, mais ensuite...  Il attrapa la plume, mordilla le bout et commença sa rédaction.

Ma douce colombe des îles,

Je vous couche sur papier ce doux billet, afin de vous transmettre les sentiments qui jaillissent de mon cœur.

Il fallait espérer que ce soit assez niais pour que l’espion qui lise s’arrête dès maintenant… De plus le jeune homme n’était pas sûr de pouvoir continuer longtemps à jouer ce rôle-là. Il n’était pas habitué, même si cela le faisait bien rire. Comment allait réagir sa correspondante ? Andréa espérait qu’elle n’allait pas avoir trop peur et qu’elle comprendrait l’intérêt de cette lettre, qu’elle ne la jette pas comme tant d’autres qu’elle devait recevoir.

Je vous envoie cette missive pour vous annoncer que, dans mon corps, tout bouge. Mes sentiments virevoltent de droite à gauche, les idées qui traversent mon esprit se retrouvent emprisonnées, les mots sont prêts à quitter le doux nid qu’était ma bouche.

Ouais, ok, il s’emballait. Mais il fallait lui annoncer que le monde était en train de se rebeller, que les Phénix quittaient leur nid, que le monde n’allait pas tarder à s’ébranler.

Mon cœur s’emballe, mais mes mots restent. Ma chère colombe, il ne me reste guère de temps avant que tout n’explose en mon for intérieur. Je vous en prie, rejoignez-moi au plus vite. Pour partager votre expérience dans l’art de la joute verbale.

Il pétait un câble vers la fin, il avait mis plusieurs heures à chercher ses mots avec soin et pourtant il n’en pouvait plus. Les tournures poétiques tentaient de rendre fidèlement l’attaque imminente, il casait des mots, rejoignait les sens, jouait avec les homonymes ou les synonymes. Il donnait tout ce qu’il avait et espérait que cela allait suffire. Il trempa sa plume une dernière fois dans l’encrier et signa.

Votre bien aimé ver-de-terre.

Il avait commencé à signer ses lettres comme cela, en référence à l’auteur français : Victor Hugo, qui signait « le ver-de-terre amoureux d’une étoile ». Oh ses lettres n’étaient pas des lettres d’amours, mais c’était, si jamais quelqu’un les découvrait, une couverture pour un fan des romans de l’écrivain. Qui sait, les mangemorts étaient peut être cultivés…

Andréa relut sa lettre, puis, avec un petit sourire satisfait, la referma. Il se leva et pour aller chercher un hibou à qui il confia l’enveloppe fermée par la cire habituelle. Il espérait qu’elle arriverait à destination sans encombre, il espérait qu’elle comprenne le message, mais surtout, il espérait qu’elle réponde. Andréa aimait bien sa compagnie et ses messages. Après tout la guerre approchait et il fallait la prévenir, mais elle avait plusieurs longues semaines devant elle. Elle ne pouvait quitter son poste quel qu’il soit, dans la minute. Ce serait bien trop suspect. Il caressa le hibou d’un air absent et lui donna une croquette. Puis il tendit le bras et le passa par la fenêtre. Le hibou s’envola avec grâce vers le nord. Andréa resta accoudé à la fenêtre jusqu’à que l’oiseau disparaisse de son champ de vision, puis il ferma les yeux et imagina le hibou qui continuait à voler. Il aurait aimé avoir des ailes et surplomber des paysages somptueux. Voler lui manquait. Il n’avait jamais pu apprendre à transplaner et il imaginait que c’était une chose merveilleuse. Que ça retournait l’estomac de joie quand on surplombait les belles collines. Il finit par rouvrir les yeux et soupira. Une autre lettre l’attendait sur le bureau, une lettre de comptabilité, car il fallait continuer à jouer la comédie. Il fallait continuer à travailler pour cette banque inexistante qui cachait le repère des phénix. Il fallait faire mentir, faire croire, fabuler, inventer. Il détestait ça. Il voulait de l’action, il voulait de la guerre. Seulement il n’avait pas le choix. Il s’assit derrière le bureau en soupirant et attrapa la pile. Ces lettres seraient bien moins intéressantes que la première, ça c’était sûr.