one year old

 

Abagada? Tu regardes le monde qui t'entoure avant d'engouffrer dans ta jolie petite bouche la purée que ta gouvernante te propose. Elle te reprend en levant le doigt pour que tu patientes. Tu n’as qu’un an et déjà tu dois te comporter comme une princesse. D’ailleurs ta robe rose pâle te donne l’air d’une enfant royal. Sous les ordres de ta gouvernante tu finis par avaler la cuillère comme il le faut et elle t’applaudit. Tu ne comprends rien, mais tu souris, tu aimes son parfum et son ton doux. Elle t’apprend beaucoup de choses et te fait plein de câlins, tu l’aimes. Une porte claque au loin, tu relèves la tête, tel un chat en direction du bruit. En premier arrive Aileen, ta maman. En second arrive Garrett, ton père. Deux mangemorts renommés, mais pour l’instant cela ne veut rien dire pour toi. Tu leur souries de toutes tes petites quenottes qui sont en train de pousser. Ils te déposent un baiser sur le front, donnent quelques directives à Katlyn -ta gouvernante- et disparaissent de nouveau de ton champs de vision. Ton regard se fixe alors sur la nouvelle bouchée que tu vas pouvoir engloutir. A cet âge-là, seule la nourriture t’intéresse.

five years old

 

BRAOUM. Tu serres ta couette encore plus fort, l’éclair qui a traversé ta chambre -tes rideaux, tes fenêtres et tes volets aussi- t’avait pourtant prévenu. Tes yeux sont grands ouverts, ton regard se fixe sur le portrait de ta famille éloignée -celle qui est restée en Angleterre- devant leur maison à la campagne. C’est la seule chose innocente que tu puisses voir. Même ton fer à cheval porte-bonheur ne te rassure plus. Tu te mets à sangloter. Tu aimerais faire quelque chose, tu aimerais agir, mais cette peur t’englobe tout entière sans que tu ne puisses y remédier. Tu inspires, expires et un second éclair parcourt le ciel. Deux larmes s’écoulent le long de tes joues. Tu frissonnes alors que tu transpirais dans ta couette trop épaisse quelques minutes auparavant. Après de longues secondes -qui te paraissent pourtant des heures- dans le noir, tu tends un pied vers le sol. Le grincement te fait sursauter et monter -de nouveau- les larmes aux yeux. Après avoir pris une grande inspiration et toujours enroulée dans ta couette, tu te mets à courir en directement de la chambre de tes parents. Comme à chaque orage, tu restes devant leur porte. Incapable d’entrer. Une petite princesse digne ne doit avoir peur de rien et ne doit jamais déranger ses parents. Ta respiration se fait de plus en plus saccadée alors que tu poses la main sur la poignée et … un nouvel éclair jaillit dans le ciel. Tu cours à en perdre haleine, tu vas dans ton dernier refuge : la niche du chien. C’est sale et indigne d’une princesse, mais tu sais que c’est la seule chose à faire pour survivre. Après avoir déposé ta couette sur ton lit, tu t’allonges contre le molosse -qui est en fait très doux, juste très gros- et enfouie ton petit visage contre ses poils bien longs. Tu sais que c’est Katlyn qui te trouvera ici le matin, tu sais qu’elle te lavera avec cinq savons différents pour faire partir l’odeur du chien, mais ce que tu sais surtout c’est qu’elle gardera ton secret jusque dans la tombe. Et que tes parents n’en sauront jamais rien.

eight years old

Si quelqu’un regardait par la fenêtre en cet instant, il verrait une famille attablée, mais avec des costumes d’époques. Tes parents ont toujours voulu montrer leur richesse en achetant des vêtements hors de prix et de mode et petit à petit tu y as pris goûts. Tes poupées ont toutes un vêtement différente ; une va au bal masqué, l’autre se rend à Paris la capitale de la mode, une autre encore rejoint un dîner mondain. Chaque habillage correspond à un de ceux que ta mère a porté un jour. A chaque fois qu’elle sortait, tu mémorisais sa robe dans ta petite tête, puis tu la dessinais pour demander à Katlyn de la coudre avec un pan de tissu. Tu es très fière de tes poupées bien rangée face à ton lit. Tu relèves la tête vers ta mère qui te regarde. Regarde ton assiette quand tu manges, c’est malpoli de se perdre dans ses pensées. Katlyn a déjà du te le dire. On cherche à t’élever comme une princesse qui pense aux autres avant elle, pourtant la voix de ta mère est douce. Tu ne souffres pas de cette demande constante, tu approuves toujours. Tu veux faire ce qu’on te demande, tu veux qu’on soit fier de tes prouesses. D’ailleurs tes parents te le disent parfois, rarement, mais ils te le disent. C’est ce détail qui change tout, tu sais que ce que tu fais bien, est récompensé. Tu acquiesces avant de te rassoir bien sur la chaise et d’avaler élégamment une bouchée de brocolis. Tu détestes ça. Soudain malheur ! Tu retiens le cri qui allait jaillir de ta gorge, ton regard est fixé sur l’objet du crime : la carafe encore dans la main de ta père. Le pot d’eau est entre le sel et le poivre, c’est atroce. Pire encore que présenter le pain à l’envers. Ok, non, le pain à l’envers c’est le plus truc le plus effroyable qui existe au monde. Tu regardes ta père déposer le pot avec un regard rempli d’une peur réelle. Tu y crois de toutes tes forces, tu as toujours sur toi une mini patte de lapin que ton oncle t’a ramené d’un de ses nombreux voyages en France. Et dans ta chambre, juste au-dessus de la porte tu as un fer à cheval accroché, l’ouverture vers le haut bien évidemment. Tu as un sourire en repensant à ce fer, tu l’avais volé lorsque vous vous aviez visité une ferme avec l’école. Tu l’avais trouvé, à côté d’un cheval. Du plus beau des chevaux du centre. Et toi, en tant que superstitieuse de première, tu l’avais dérobé et depuis ce jour il est fièrement mis en évidence dans ta chambre. Chaque fois que tu entres ou sors tu le regardes et il te rassure. Cependant à cet instant précis tu baisses les yeux. Tu ne peux pas élever le ton sur ton père, ni sur ta mère qui n’a rien remarqué. Tu risques un coup d’œil vers la cuisine, tu vois Katlyn, elle aussi horrifiée, mais elle aussi, muette. Vous êtes les deux seules à vous comprendre, enfin c’est elle qui t’a inculqué ses valeurs de superstition qui te font vibrer de peur au plus profond de ton être.

ten years old

Aujourd’hui nous allons vérifier que la princesse a bien appris ses leçons. Ton père t’indique la chaise de sa grande règle de bois et commence à te questionner. Il cherche à savoir si tu connais la généalogie de la famille sur le bout des doigts, si tu connais le nom des grands-sorciers, autrement dit mangemort, qui ont changé le cours de la société, si tu sais décrire les sortilèges de magie noire que tu dois être capable de maîtriser, si tu supportes la douleur. Ce ne sont que des règles de bases pour eux, mais pour l’enfant de dix ans que tu es, c’est trop. Pourtant tu réponds juste, toujours juste. Avec Katlyn tu as beaucoup révisé, tu as appris en silence, à voix haute, en récitant au chien, en dessinant, qu’importe les méthodes : tu dois savoir. Et ton père est fier de ton travail, ton père te dépose un baiser sur le haut du crâne avec un léger sourire. Il dit que tu reprendras l’entreprise familiale, que tu accompliras de grande chose, que tu seras redoutée. Dans ta chambre, tu as un tableau représentant le Lord et son armée victorieuse le jour de la Grande Bataille. Tu connais le nom de chaque héros de cette guerre et tu sais les associer à chaque visage. C’est une chose qui te semble naturelle et qui pourtant, est très loin de l’être.

thirteen years old

Septembre te paraît bien fade en Angleterre. C’est le deuxième que tu passes loin de ta famille et c’est deux fois plus dur. Même si tes parents n’étaient pas toujours très présents, même si la vie n’était pas facile, te retrouver seule dans le château a été une épreuve. Contrairement aux anglais, tu as tout quitté pour retrouver un monde où même l’accent te trahit. Certains ont des frères et sœurs : tu es fille unique, certaines peuvent rentrer pendant les grandes vacances : tes parents t’ont expliqué que c’était trop loin. Tu es seule et perdue, alors tu te fais une place. Ici tu es loin des enseignements de ta mère et de ton père, des interdits et des obligations. Ici tu n’as pas besoin de te comporter comme une princesse, ici tu peux être une garce. Tu peux refouler sur les autres tout ce que tu n’as jamais pu faire. Tu peux te permettre de crier dans les couloirs, de mettre un pantalon, de mordre, de pleurer en public. Seulement tu ne le fais pas, du moins pas toujours. Tu gardes en mémoire ton éducation princière, tu gardes dans ton cœur les conseils de Katlyn et tu fais vivre aux autres un enfer. Oh oui. Déterminée comme tu es, tu peux faire semer une terreur sans nom, mais avec finesse. Masquée derrière des sourires, tu craches. Cachée derrière des robes élégantes, tu trahis tes "amies". Le jour tu es une petite fille modèle, une Chelsea adorable avec ses professeurs, une gamine qui a soif d'apprendre. La nuit tu te transformes en Mindy la folle : tu sors, tu bois, tu danses, tu joues avec ton corps. Qu'importe, tant que tu y gagnes des informations.